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Promenade à marée basse

L'invitation avait été lancée, il y quelques mois, par Nancy: "Ça vous tenterait-tu d'aller prendre une marche sur la terre à bois de mon chum ? Vous verrez, c'est une belle place." Puis la COVID est arrivée, les relations se sont distancées et les visites ont été repoussées à des jours meilleurs.

Mais hier il faisait trop beau pour rester encabané; un genre de beau dont on sait qu'il ne va pas durer, un genre de beau annonciateur de linge d'hiver et de changement de pneus. Aussi, et malgré le retour de bâton que les spécialistes appellent la deuxième vague, nous nous sommes donnés rendez-vous sur la fameuse terre.

À première vue, rien d'extraordinaire pour un amateur de nature sinon le charme bucolique de la Montérégie; ce qui n'est déjà pas rien quand on habite dans la grande banlieue de Montréal. Pour accéder à l'endroit, on chemine entre soja et soja puis entre maïs et maïs, accompagnés par la chorale des grillons d'automne qui ont échappés aux pesticides, pour finalement arriver au bout du tunnel, une belle érablière mature et sombre à souhait.

Passé la lisière, le charme opère immédiatement; on est ailleurs. Par-ci par-là, quelques cèdres (des thuyas de l'Ouest) et des affleurements de roches laminées qui me font penser à un paysage vu plus tôt cette année lors d'une ballade à Saint-Bernard-de-Lacolle. Rien d'étonnant à cela puisque nous n'en sommes qu'à une dizaine de kilomètres.

En avançant, on débouche sur une grande clairière barrée par un mur de roseaux qui suggère la présence d'eau. Nancy nous le confirme, il y a de l'eau et on peut s'en approcher. Aussitôt dit aussitôt fait, et un autre paysage se dévoile: une vaste étendue d'eau qui semble avoir connu de meilleurs jours à en juger par la largeur des rives. Elle est entourée d'un sol rocailleux gris pâle qui semble néanmoins faire le bonheur des thuyas, omniprésents, et des potentilles frutescentes, deux plantes qui aiment les sols calcaires et l'eau. Et si la marée est basse en cette fin de saison, c'est parce que cette ancienne carrière artisanale n'est alimentée que par la fonte des neiges et les pluies.

En approchant du bord, nous dérangeons un groupe de bernaches du Canada et de pluviers kildirs dans leur halte migratoire. Je remarque alors une gentiane que je n'avais encore jamais vue. C'est une gentiane frangée (Gentianopsis crinata), une plante plutôt rare au Québec (selon la flore Marie Victorin), sauf ici où elle abonde.

Et puis toutes ces pierres calcaires, je ne peux pas m'empêcher d'y jeter un oeil. Après tout, nous sommes dans la formation géologique de Beauharnois et, il y a 465 à 485 millions d'années, sur la côte sud-ouest du continent Laurentia dans un environnement de mer chaude, peu profonde et soumise aux marées (voir le schéma plus bas). Alors, peut-être reste-il des traces d'anciennes vies ?

Et effectivement, en se penchant pour vérifier, on en trouve sous la forme de terriers fossilisés laissés par des animaux fouisseurs.  

Une nouvelle plante, des fossiles, il ne restait plus qu'une bière en bonne compagnie pour clore cette belle fin de semaine.

Un 31 juillet à Flower's cove (Terre-Neuve)



Géologiquement parlant, la frange ouest de Terre-Neuve est la plus ancienne. Il y a 550 millions d'années, cette partie de l'île formait la marge continentale du continent Laurentia.
Là ou je vous emmène, on peut imaginer qu'à cette époque, nous aurions marché sur un haut-fond de l'ancien continent, peut-être un lagon, situé quelque part sur la ligne de l'équateur. À marée basse, nous aurions les pieds dans l'eau. À marée haute, L'eau, chaude, nous arriverait à la taille.
On peut y apercevoir des formes de vie, mais rien qui ressemble vraiment à ce que nous connaissons. Nous sommes au moment du "big bang" de la vie sur Terre. Dans environ 25 millions d'années, la planète connaîtra sa plus grande biodiversité. Tout est alors possible et beaucoup de choses vont être essayées. Certaines formes de vie sont tellement improbables qu'elles sont vouées à l'échec.  
Tout se passe dans les océans, car au sol, il n'y a rien, à part peut-être le voile verdâtre des premiers micro-organismes photosynthétiques qui commencent à coloniser les rochers humides.



Dans l'eau, il y a aussi ces étranges rochers blanchâtres en forme de macarons. certains sont isolés, d'autres se sont fusionnés pour former un tapis de coussins, mais aucun ne dépasse jamais de l'eau. À marée haute, ils se contentent d'effleurer la surface, comme si l'air leur était interdit. 




En vérité, c'est bien le cas car ces rochers n'en sont pas, en tout cas pas vraiment et pas encore. Pour l'instant ils sont encore ces colonies de bactéries que l'on appelle des thrombolites ou des stromatolithes, selon leur organisation interne (anarchique ou en couches concentriques). D'ailleurs, en les touchant, on peut constater que leur surface n'est pas complètement minérale. Elle ressemble plutôt à de la gélatine. Ce mucilage sécrété par les bactéries piège et agglomère les sédiments pour former une couche protectrice. 




Si le microscopique est devenu si visible, c'est sous l'effet du nombre. Les bactéries qui constituent ces colonies font partie des premières formes de vie qui ont peuplées la Terre et ont eu des millions d'années pour se multiplier. 
Aujourd'hui, celles de Flower's cove sont mortes, mais toutes n'ont pas disparu; il en existe encore quelques unes, ailleurs dans le monde. 




Un 29 juillet à Stephenville (Terre-Neuve)

Stephenville, avec ses 6500 habitants, est la principale ville de la côte ouest de Terre-Neuve. A-t-elle du charme ? Je n'en sais rien et ce n'est pas le but de notre visite. Ce que nous cherchons, c'est Blanche Brook, la petite rivière qui la traverse et qui tient son nom de l'ancienne communauté acadienne depuis longtemps assimilée.
Pourquoi la rivière ? Parce que bien avant les anglais, avant les acadiens, les pêcheurs de morue français et même les béothuks, il y avait ici une forêt, une forêt peuplée d'essences d'arbres aujourd'hui éteintes, mais dont on peut voir les vestiges.



Nous mettons un peu de temps à trouver la Blanche Brook, un rien comparé aux 325 millions d'années qui nous séparent des arbres qui vivaient là. Après nous être stationnés à côté d'un pont, nous cherchons un accès pour descendre sur la berge sous le regard interrogateur de quelques personnes qui font la file pour remplir leurs bidons à une fontaine publique. 




Et puis, on commence à remonter la rivière en suivant la berge qui déborde largement sur le lit de la rivière en cette fin de juillet. Inutile de chercher bien longtemps, il faut juste que le regard s'habitue. On commence par voir les fragments d'écorces noircies, comme carbonisées par le processus de fossilisation, qui se détachent de la roche grisâtre.





Au fur et à mesure que l’œil se familiarise avec le paysage, les troncs et les branches plus pâles commencent à apparaître. Ils étaient là, bien sûr, mais nous regardions "trop petit". Il faut changer l'échelle de son regard pour contempler ces arbres qui pouvaient mesurer une cinquantaine de mètres de haut.
Déracinés par un cours d'eau des millions d'années plus tôt et ensevelis dans la boue, ils n'ont pas bougés depuis. Certains, presque intacts, s'enfoncent plus profondément dans la matrice. Alors on s’assoit sur un rocher pour contempler, on se prend à imaginer le paysage de l'époque et on s'invente des histoires.


Un 26 juillet dans les Tablelands (Terre-Neuve)




Le parc national du Gros-Morne sur la côte ouest de Terre-Neuve est un lieu que nous ne pouvions pas éviter puisque c'est l'un des rares endroits où l'on peut se promener sur des roches issues du manteau terrestre. Le lieu est suffisamment unique pour avoir été classé dans le patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco, raison de plus pour ne pas l'ignorer.
Tels de gigantesques copeaux, des fragments du manteau ont été arrachées à plus de 5 kilomètres de profondeur par la collision entre les continents Laurentia et Gondwana, puis ramenés à la surface, il y a 500 millions d'années. Ils forment aujourd'hui des plateaux spectaculaires qui tranchent dans le reste du paysage par leur couleur orangée et leur quasi-absence de végétation.

Même altitude, ou presque, à gauche et à droite du sentier de randonnée. Et pourtant, un paysage bien différent.



Si ces montagnes à l'allure martienne ont l'air aussi désertique, ce n'est pas à cause de l'altitude ou de l'exposition au soleil. L'unique raison de cette discordance est chimique. Dans les tablelands, le sol est de la péridotite, la roche ultrabasique de couleur vert foncé, presque noire qui compose le manteau. Au contact de l'eau, elle se transforme lentement en serpentinite, riche en fer (lequel s'oxyde pour donner cette teinte ocre si particulière) et en métaux lourds tels que le nickel et le magnésium.


Sous l'effet de la serpentinisation, la péridotite, noire, se transforme en serpentine, verte. Dans les microfissures, le calcium précipite...
...et donne parfois des plaques de travertin.
Si ces conditions semblent peu propices à la vie, il n'est pas pourtant impossible qu'elle lui ait donnée naissance dans le fond des océans, à une époque lointaine. En tout cas, de la vie, il y en a sous la forme de quelques plantes particulièrement adaptées à ces conditions extrêmes. Les découvrir (et en parler dans un prochain billet) était même l'un des buts de la ballade.