Zoogamie et zoochorie...

...sont deux façons ingénieuses qu'ont inventé les plantes pour voir du pays.
Dans le cas de la zoogamie, il s'agit de se faire transporter sous forme de pollen par des animaux dans le but d'aller féconder un ovule lointain; une espèce de correspondance amoureuse qui finit par porter ses fruits. Le rôle de Cupidon est souvent joué par un insecte (entomogamie), mais il arrive que soit un oiseau (ornithogamie), par exemple un colibri, ou encore un mammifère comme une chauve-souris ou un jardinier.

Cirsium horridulum

Dans le cas de la zoochorie, la plante confie sa progéniture (sous forme de graine) à un animal et espère que ce dernier saura lui trouver une terre accueillante. C'est l'équivalent de la cigogne, à cette différence près que l'organisation multinationale des plantes a étendu le procédé à l'ensemble du règne animal.
Pour le voyageur, il y a plusieurs options. La graine qui veut profiter du paysage pendant le voyage choisit l'épizoochorie en s'accrochant à l'animal de passage. Les exemples sont nombreux, mais celui qui nous touche le plus est probablement celui de la bardane

Arctium lappa
Une adepte de l'épizoochorie: la grande Bardane
Arctium lappa

D'autres graines, moins regardantes sur les conditions de voyage, préfèrent l'endozoochorie. Elles revêtent alors une tenue de voyage alléchantes et attendent d'être happées par le transporteur. Une fois digérées, elles seront déposées plus loin; inutile de faire un dessin.

Turdus migratorius

Il y a aussi l'option de la dyszoochorie, qui consiste à faire partie du régime alimentaire d'un animal tout en espérant échapper à sa voracité. C'est le jeu dangereux que pratique entre autres, le gland avec l'écureuil. Emporté et caché par l'animal, il espère se faire oublier et germer dès que les conditions climatiques le permettront. Cela doit marcher puisqu'il y a encore des chênes.

Cerises de Virginie

Prunus virginiana

Acidulées et extrêmement astringentes, j'espérais qu'avec le sucre elle ferait un aussi bon clafoutis que les griottes d'Europe. Malheureusement, la quantité de chair par rapport au noyau a rendu la dégustation, laborieuse. Il vaut mieux les préparer en confiture. Avis aux amateurs: faites attention, car toutes les grappes de fruits rouges ne sont pas des cerises.

Cueilleur
Prunus virginiana

L'Île aux Lièvres

tiré de Google Earth
L’île aux Lièvres - à peu près 15 de kilomètres de long sur 1,5 km de large - est une crête rocheuse des Appalaches qui émerge au beau milieu du Saint-Laurent, à une dizaine de kilomètres au large de Rivière-du-Loup. Elle appartient en partie à la société Duvetnor, une organisation à but non lucratif qui la protège, exploite le duvet des eiders qui y nichent et vend les droits d’accès à l’île.
Il y a environ 30000 ans (Wisconsinien), l'île, comme le reste du Québec, était recouverte par une calotte glaciaire dont l'épaisseur pouvait atteindre 3 km en certains endroits. 15000 ans plus tard, la fonte des glaciers noie les basses terres sous les mers de Champlain au sud de Québec et de Goldthwaith au nord. L'île est alors recouverte par 50 à 100 mètres d'eau. La remontée des terres libérées du poids des glaces et le drainage des eaux vers l'Atlantique finissent par la faire émerger, il y a 11000 ans.

Île aux Lièvres
Pointe est de l'île: entre Laurentia (Côte Nord) et Baltica (Bas-Saint-Laurent)
Île aux Lièvres
Rive sud
Île aux Lièvres
Rive nord
Île aux Lièvres
Le voyage est fini pour ce bloc erratique abandonné par les glaciers

Aujourd'hui, l'île aux lièvres est recouverte d'une forêt où dominent le sapin baumier, le bouleau blanc et l'incontournable peuplier faux-tremble. En sous-bois, l'arbuste principal est certainement l'if du Canada qui forme à certains endroits d'épais tapis, seulement interrompus par le sentier et ses bordures fleuries d'asters, tout au moins à la fin de l'été. Dans les parties plus éclairées, on trouve également des viornes et du cornouiller stolonifère, ainsi que des rosiers sauvages à la lisière entre forêt et rivage.

Île aux Lièvres: sapinière à bouleau blanc
Île aux Lièvres
Île aux Lièvres
Tsuga canadensis
Aster macrophyllus
Rosa rugosa

Sur les rives, il n'y a que des rochers et des embruns, deux obstacles à la colonisation par les plantes. Et pourtant, il y en a. Feuilles épaisses à la surface réduite et recouverte d'une épaisse cuticule de cire, ces halophytes font tout pour retenir l'eau qu'elles ont tant de mal à absorber. En s'aventurant sur les rochers, on trouve entre autres la salicorne d'Europe, le plantain maritime, la renoncule cymbalaire, le caquillier édentulé et la verge d'or toujours verte

Salicocornia europaea
Plantago maritima
Ranunculus cymbalaria
Cakile edentulaSolidago sempervirens

L'île est peu habitée. Bien qu'elle doive son nom aux lièvres d'Amérique que Jacques Cartier y a vu en abondance lors de son escale, ils se font très discrets; tellement que c'est à se demander s'ils n'ont pas de prédateurs. Selon les dires des naturalistes locaux, il n'y a pas de renards, ni de mammifères plus gros que les lièvres, uniquement des souris, des campagnols, des rats musqués et une cinquantaine d'espèces d'oiseaux, parmi lesquels des rapaces diurnes et nocturnes (ceci explique peut-être cela). Côté fleuve, on peut aussi observer des phoque communs et plus occasionnellement des phoques gris, en train de paresser sur les rochers.

Bonasa umbellus
Campagnol sp
Halichoerus grypus

Références
Traces du dernier épisode glaciaire à l'île aux Lièvres - Estuaire du Saint-Laurent. Jean-Claude Dionne. Le Naturaliste Canadien 125:2, 43-48. 2001
Planète Terre: Le quaternaire au Québec: une histoire de glaciations-déglaciations. Pierre-André Bourque, Département de Géologie et de Génie géologique de l'Université Laval.
L'Île aux Basques. La Société Provancher d'histoire naturelle du Canada. ISBN 2-921919-03-6