Le mieux, ennemi du bien ?

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Le boisé du Tremblay enclavé entre zones industrielles, agricoles et résidentielles s'efforce d'effacer les signes de son passé agricole. Des anciens lots, il ne reste que quelques vestiges des démarcations: des alignements de pierre que l'humus et les souches finissent d'engloutir, et à leur pieds des fossés de drainage comblés depuis longtemps dans lesquels l'eau peut à nouveau prendre le temps d'entretenir la vie.
Il y a pourtant une trace qui refuse de s'estomper, une tranchée aussi droite qu'un trait d'arpenteur, aussi profonde qu'un coup de pelle mécanique et au fond de laquelle coule de l'eau. Aussi loin que l'on suive son fil, on n'y voit aucune algue, aucune trace de vie, pas plus dans le lit que sur les berges lavées par les brusques changements de débit. Est-ce parce qu'elle trouve sa source à quelques centaines de mètres de là, au cœur de la zone industrielle, et que les entreprises riveraines y déversent leurs eaux usées.

Source
1. Une des sources du ruisseau Massé (voir la vue satellite plus bas)
Boisé du Tremblay
2. Dans la réserve de Nature Action Québec, 500 mètres plus loin
Boisé du Tremblay

Quoiqu'il en soit, cette eau qui coule à longueur d'année est la seule réminiscence de ce qu'était autrefois un ruisseau. Creusé et redressé, il a maintenant acquis un statut administratif et est devenu un cours d'eau verbalisé. C'est le nom donné à ces aménagements, dont les premiers datent des années 20.
À l'époque, le Québec se lance dans un vaste programme de drainage des terres agricoles dans le but d'en améliorer la production. Des fossés sont creusés et des cours d'eau, redressés. Cette exercice qui connaît son apogée entre les années 60 et 90, aboutit à l'aménagement de 30000 km de cours d'eau, dont 9000 à 10000 km sont créés de toute pièce. Dans le sud du Québec, le réseau hydrographique a ainsi été multiplié par deux.
Hydrogrammes de crue d'une rivière avec un  bassin versant en milieu forestier (bleu) et d'une rivière avec un bassin versant en milieu agricole (rouge).
Le ruissellement des eaux de pluie plus important en milieu agricole a pour effet d'accélérer le temps de montée et d'augmenter le débit de pointe des rivières en crue.
L'objectif a été atteint. Grâce au drainage, l'eau de fonte s'évacue plus rapidement et la terre peut désormais être travaillée plus tôt au printemps. Les fortes pluies risquent moins de noyer les cultures ou de favoriser les maladies cryptogamiques. En outre, en rectifiant les cours d'eau et la géométrie des parcelles, on a gagné quelques hectares de terres et accéléré le mouvement des machines.
Certes, l'eau s'écoule plus vite et en plus grande quantité, mais il y a une contrepartie. Elle emporte avec elle les sols, qui s'appauvrissent, s’assèchent en profondeur et se compactent. Elle charge les rivières en sédiments, en engrais et en pesticides; ce qui n'est pas sans conséquence sur la vie aquatique. La vitesse du courant dans les cours d'eau redressés accroît l'érosion des berges et impose un entretien régulier des fossés au détriment de la faune et de la flore locales. Autre conséquence de ces aménagements, les pluies et la fonte des neiges gonflent les rivières un peu plus qu'avant à la saison des crues.


Canal Saint-Bruno
3. En traversant la zone agricole, le ruisseau anonyme prend le nom de canal Saint-Bruno
Ruisseau Massé
4. Après avoir rejoint le ruisseau Massé, les eaux retrouvent leur cours naturel et serpentent à nouveau
jusqu'à la rivière Acadie.