Rainette faux grillon de l'Ouest ou boréale ?

Jusqu'à récemment, si vous m'aviez demandé quelle espèce d'amphibiens menacée justifie que l'on protège le boisé Du Tremblay, je vous aurais répondu la rainette faux-grillon de l'Ouest (Pseudacris triseriata). 

Pseudacris triseriata par Pfinge at French Wikipedia., CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Eh bien, je me trompais et je vous répondrai dorénavant la rainette faux-grillon boréale (Pseudacris maculata). Pour ma défense, il faut préciser que les deux espèces sont indiscernables à première vue et que je ne faisais que répéter ce qu'on lit partout, même dans la littérature scientifique récente.

Mais voilà, les connaissances scientifiques évoluent avec les techniques d'analyse et l'ADN a remplacé le rapport T/SVL.   

Le rapport T/SVL est calculé en divisant la longueur du Tibia par la distance entre le museau (Snout) et l'orifice du cloaque (Vent). Ce rapport est en moyenne de  42,6 chez P. triseriata et de 39,3 chez P. maculata, avec un chevauchement des valeurs extrêmes.

Jusqu'en 2003, on pensait que la rainette faux-grillon boréale était complétement absente du Québec. Jusqu'à ce qu'une équipe de l'entreprise FORAMEC la découvre autour de la baie de Rupert (Jamésie, Québec) lors d'une étude d'impact du détournement de la rivière Rupert par Hydro-Québec (voir ici). 

C'est en se basant sur une mention non vérifiée et en faisant jouer des enregistrements des chants de la grenouille que l'espèce fut découverte. 

Pseudacris maculata par Tnarg 12345 at English Wikipedia., CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Puis en 2007, une étude américaine portant sur l'ADN des populations de rainettes faux-grillons permet de redessiner la carte de distribution des différentes espèces. Elle confirme également que la faux-grillon boréale est présente dans le sud de l'Ontario et suggère que les populations de faux-grillons de l'Ouest du Québec méridional pourraient avoir été mal identifiées. 

En 2015, une équipe de chercheurs québécois se penche sur la question. Ils inventorient des sites du sud du Québec connus pour héberger la faux-grillon de l'Ouest (notamment le boisé du Tremblay) en utilisant des enregistrements sonores des deux espèces. Première constatation, seules les faux-grillons boréales répondent aux appels. Ils prélèvent ensuite des échantillons d'ADN, qui, après analyse, confirment qu'ils appartiennent bien à des rainettes faux-grillons boréales.

Pseudacris maculata map
Distribution de Pseudacris maculata par Cephas, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Pour la première fois, ces travaux apportent la preuve que les populations de faux-grillon du Québec méridional ont été mal identifiées. Les chercheurs expliquent cette erreur par une diminution du rapport T/SVL dans une population locale et isolée qui a continué malgré tout à évoluer.

Est-ce que cette découverte change quelque chose à la protection de ces grenouilles et des milieux qui les hébergent ? Absolument pas et au contraire, étant donné l'isolement et la fragilité de ces populations de faux-grillon boréale, et de la quantité d'informations scientifiques qu'elles peuvent fournir sur leur biologie, leur évolution et la dynamique de leur population.

Sources:

Picard, I., & Desroches, J.-F. (2004). Situation de la Rainette faux-grillon de l’Ouest (Pseudacris triseriata) en Montérégie - Inventaire printanier 2004. En Collaboration Avec Le Centre d’information Sur l’environnement de Longueuil (CIEL), Longueuil, Québec, 50 pages. 
Fortin, C., Ouellet, M., & Grimard, M. J. (2003). La rainette faux-grillon boréale (Pseudacris maculata) : présence officiellenent validée au Québec. Le Naturaliste Canadien, Vol. 127, 71–75. 
Lemmon, E. M., Lemmon, A. R., Collins, J. T., Lee-Yaw, J. A., & Cannatella, D. C. (2007). Phylogeny-based delimitation of species boundaries and contact zones in the trilling chorus frogs (Pseudacris). Molecular Phylogenetics and Evolution, 44(3), 1068–1082.
Rogic, A., Tessier, N., Noël, S., Gendron, A., Branchaud, A., & Lapointe, F. J. (2015). A “trilling” case of mistaken identity: Call playbacks and mitochondrial DNA identify chorus frogs in Southern Québec (Canada) as Pseudacris maculata and not P. triseriata. Herpetological Review, 46(1), 1–7.
Dubois-Gagnon, M. P., Bernatchez, L., Bélisle, M., Dubois, Y., & Mazerolle, M. J. (2021). Distribution of the boreal chorus frog (Pseudacris maculata) in an urban environment using environmental DNA. Environmental DNA, (May), 1–13.

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SIGÉOM n'existait pas,

 il faudrait l'inventer. 

La carte interactive du Système d'information géominière du Québec est une mine d'informations sur la géologie du Québec et je ne voyage pas dans la province sans l'avoir préalablement consultée.

Cette fois, je cherchais de l'information sur le sous-sol du boisé du Tremblay en préparation d'un texte sur son histoire géologique. Je commence par sortir une vue satellitaire assez générale de la région entre le fleuve Saint-Laurent (à gauche) et la rivière Richelieu (à droite), histoire de m'orienter.

Le mont Saint-Bruno est au centre, le boisé est à gauche (cliquer pour agrandir l'image). 

J'ajoute ensuite la surcouche de géologie générale du socle et j'ajuste la transparence. Apparaissent alors trois zones de couleur. En cliquant dessus, la légende m'indique que:

  • le brun foncé correspond à des roches intrusives alcalines intermédiaires à ultramafiques (Gabbro du Mont-Saint-Bruno) qui datent du crétacé. En clair, c'est une intrusion magmatique qui s'est produite il y a 125 à 145 millions d'années, lorsque la plaque américaine est passée sur un point chaud, à la façon d'Hawaï aujourd'hui.
  • Le brun moyen (sous le boisé) est du shale calcareux noir et du calcaire (shale d'Utica) datant de l'ordovicien moyen et supérieur. Traduction: ce sont des alluvions qui se sont déposées au fond d'une mer profonde (l'océan Iapéthus), il y a 445 à 470 millions d'années.
  • Le brun clair est du shale gris, du grès, du siltstone et du calcaire (groupe de Lorraine) de l'ordovicien supérieur et moyen. Historiquement, le groupe de Lorraine est la strate recouvrant le shale d'Utica et par conséquent formée immédiatement après. Son origine est discutée: peut-être un flysch (dépôt sédimentaire dans un bassin en fermeture) ou des sédiments pro-deltaïques.

Bon, ça, c'est le socle, mais dessus, qu'est-ce qu'il y a ? Je descends le menu de SIGÉOM et je trouve la couche cartographique des zones morphosédimentologiques du quaternaire, grosso-modo les différents dépôts d'alluvions depuis la glaciation du Wisconsinien (Würmien en Europe, je crois).

Je m'apprête à explorer quand je remarque un nouvel onglet "Lidar" à la fin du menu. Le lidar est un système de télédétection par laser qui permet, entre autres, d'avoir une mesure très précise du relief, même sous couvert forestier. J'essaie et wow, le mont Saint-Bruno apparait ainsi que cet étrange "chenal" au-dessus, entre deux plates-formes.

Comme j'aime bien me raconter des histoires, je me mets à imaginer que cela pourrait correspondre à une zone d'écoulement des eaux lorsque la mer de Champlain se retirait (vers le haut) en donnant naissance au Saint-Laurent. Alors, je teste les différents onglets des morphologies de surface et j'obtiens la carte suivante avec les formes alluviales et les formes glacio-lacustres ou glacio-marines, qui infirme l'hypothèse.

Bref, tout ça pour dire que SIGÉOM est un outil formidable et gratuit qui donne en outre accès librement aux publications scientifiques. Des heures de plaisir pour les curieux de géologie.   

En carrés blancs, les rebords des terrasses fluviales et en carrés noirs, les rebords des terrasses marines.

Juger l'arbre par l'écorce

Quoiqu'en dise le proverbe, il est tout à fait possible d'identifier certains arbres en jugeant leur écorce du regard. Épaisses ou minces, lisses, rugueuses ou épineuses, crevassées, écailleuses ou effilochées, grises, brunes ou d'une autre couleur, toutes sont différentes, mais toutes protègent le bois des intempéries, des maladies et des blessures.


De l'écorce, nous ne connaissons que la surface, la partie morte que les scientifiques appellent le rhytidome, mais en creusant un peu le sujet, on peut découvrir beaucoup plus en dessous. Tout est si bien expliqué et illustré sur cette page que je me contenterai d'énumérer les différents tissus qui composent le tronc, de l'extérieur vers l'intérieur:


Sur un arbre coupé, il est possible d'identifier certains tissus visuellement, mais pas tous et pas toujours; cela dépend de l'essence. Ainsi, l'écorce se distingue facilement de l'aubier duquel elle a tendance à se détacher. Pour le cambium qui ne correspond qu'à une épaisseur de quelques cellules et qui disparait en séchant, il suffit de se dire qu'il est entre les deux. Et pour distinguer l'aubier du duramen (qui n'est que de l'aubier mort), il suffit de se fier à la couleur du bois, même si cela ne tient parfois qu'à une nuance. 

Sur ce peuplier faux-tremble, la distinction entre l'aubier (trait noir) et le duramen (trait blanc) n'est qu'une hypothèse échafaudée sur une nuance de couleur. Pour agrandir l'image, il suffit de cliquer dessus.
Sur un gros plan du même arbre, on peut voir l'aubier (trait noir), le liber (trait blanc) et l'écorce externe (trait vert).