Une grive vraiment solitaire

Depuis une semaine, chaque fois que j'ouvre la porte d'entrée, je fais fuir une grive solitaire (Catharus guttatus). Elle tourne le coin de la maison et va se réfugier dans le sureau ou sous le patio. 

Elle devrait déjà être dans le sud des États-Unis. A-t-elle raté le train, perdu le sud ou trouvé dans notre vigne vierge suffisamment de raisins pour passer l'hiver ? Espérons que les -15° C de ce matin vont réétalonner ses instruments de navigation. 

Le régime de la grive se limite à des raisins secs et à de la neige.
En été, Parthenocissus tricuspidata fait de l'ombre à la maison et bourdonne de guêpes et d'abeilles de toutes espèces qui viennent y butiner. En automne, elle nourrit les grives de passage puis ce qu'il reste de raisins fait le bonheur des souris en hiver.

Un 16 décembre à Longueuil

Ce matin, il y avait deux pistes dans la neige devant la porte: celle du raton laveur qui était venu faire la tournée des poubelles pendant la nuit et celle d'un lapin à queue blanche qui vient régulièrement tailler les branches les plus basses de notre faux-cyprès de Nootka (Chamaecyparis nootkatensis).

Les empreintes du raton (qui se déplace de droite à gauche) vont par paires. Les plus petites traces, en avant, sont laissées par les pattes antérieures en alternant à gauche et à droite (ici, en bas et en haut) d'une paire à l'autre.
Le lapin à queue blanche (qui se déplace de gauche à droite) et le lièvre d'Amérique tracent des Y: le pied de la lettre (les deux points de gauche) correspond aux deux "antérieures" qu'il pose en deux temps (la réception du bond) et les branches du Y (les deux points parallèles de droite) correspondent à ses "postérieures"  qu'il ramène en croisant devant les antérieures pour préparer le bond suivant...vous visualisez ?

Un 3 décembre dans le Boisé du Tremblay

Cela faisait un moment que j'avais envie d'aller voir le fameux passage faunique construit sous le futur et feu prolongement du boulevard Béliveau pour permettre soi-disant le passage des rainettes faux-grillons boréales. "Soi-disant", car on a appris plus tard que la ville de Longueuil avait aussi prévu de laisser construire des unités d'habitations de chaque côté du boulevard; ce qui aurait probablement mis fin à la rainette dans le secteur.

Mais tout ça est révolu, les défenseurs du boisé ont fini par faire entendre raison aux décideurs et tous les travaux ont été abandonnés.  

Le prolongement devait relier le rond-point (en bas, plus ou moins au centre) au cul-de-sac (plus haut) et couper ainsi le boisé en deux à travers un habitat humide connu pour héberger la rainette faux-grillon.

En arrivant sur les lieux, ma première surprise fut de constater les dégâts. Égouts, aqueducs, bornes-fontaines, lampadaires, tout était là, il ne restait plus qu'à recouvrir les grenouilles déjà enterrées d'un linceul d'asphalte.

En gris, la zone marécageuse; en blanc, le tracé du boulevard

Je me dirigeais donc vers le milieu du chantier, à mi-distance entre le rond-point et le cul-de-sac, là où je m'étais imaginé trouver le fameux corridor. Dans le prolongement d'une zone marécageuse que les grenouilles utilisent pour se reproduire, à mi-distance entre les trépidations d'un boulevard très fréquenté (bas de la photo) et les activités humaines d'une zone résidentielle (en haut), ce n'était pas faire preuve de trop d'imagination, de juste un peu de bon sens. Mais je me trompais, je l'ai trouvé plus loin, au ras des maisons. 

Tout cela a couté un peu plus de deux millions. Depuis, la mairesse qui a approuvé les travaux a été remplacée. Le directeur général, celui qui "sous l'autorité du comité exécutif, est responsable de l'ensemble de l'administration de la Ville, dont il planifie, organise, dirige et contrôle les activités" (sic le site internet de Longueuil), est toujours en place et les défenseurs du boisé réclament à juste titre la restauration des lieux, ou ce qui s'en approche le plus, dans l'éventualité où la rainette faux-grillon boréale aurait survécu à ces travaux. Mais ça, nous le saurons que le printemps prochain en tendant l'oreille.