Un 31 juillet à Flower's cove (Terre-Neuve)



Géologiquement parlant, la frange ouest de Terre-Neuve est la plus ancienne. Il y a 550 millions d'années, cette partie de l'île formait la marge continentale du continent Laurentia.
Là ou je vous emmène, on peut imaginer qu'à cette époque, nous aurions marché sur un haut-fond de l'ancien continent, peut-être un lagon, situé quelque part sur la ligne de l'équateur. À marée basse, nous aurions les pieds dans l'eau. À marée haute, L'eau, chaude, nous arriverait à la taille.
On peut y apercevoir des formes de vie, mais rien qui ressemble vraiment à ce que nous connaissons. Nous sommes au moment du "big bang" de la vie sur Terre. Dans environ 25 millions d'années, la planète connaîtra sa plus grande biodiversité. Tout est alors possible et beaucoup de choses vont être essayées. Certaines formes de vie sont tellement improbables qu'elles sont vouées à l'échec.  
Tout se passe dans les océans, car au sol, il n'y a rien, à part peut-être le voile verdâtre des premiers micro-organismes photosynthétiques qui commencent à coloniser les rochers humides.



Dans l'eau, il y a aussi ces étranges rochers blanchâtres en forme de macarons. certains sont isolés, d'autres se sont fusionnés pour former un tapis de coussins, mais aucun ne dépasse jamais de l'eau. À marée haute, ils se contentent d'effleurer la surface, comme si l'air leur était interdit. 




En vérité, c'est bien le cas car ces rochers n'en sont pas, en tout cas pas vraiment et pas encore. Pour l'instant ils sont encore ces colonies de bactéries que l'on appelle des thrombolites ou des stromatolithes, selon leur organisation interne (anarchique ou en couches concentriques). D'ailleurs, en les touchant, on peut constater que leur surface n'est pas complètement minérale. Elle ressemble plutôt à de la gélatine. Ce mucilage sécrété par les bactéries piège et agglomère les sédiments pour former une couche protectrice. 




Si le microscopique est devenu si visible, c'est sous l'effet du nombre. Les bactéries qui constituent ces colonies font partie des premières formes de vie qui ont peuplées la Terre et ont eu des millions d'années pour se multiplier. 
Aujourd'hui, celles de Flower's cove sont mortes, mais toutes n'ont pas disparu; il en existe encore quelques unes, ailleurs dans le monde. 




Un 30 juillet dans la campagne de Deer Lake (Terre-Neuve)



Une demi-journée à tuer. Tiens, le Sir Richard Squires Memorial Provincial Park, pourquoi pas ? En plus, on peut y voir les Big Falls. Et qui sait, la nature nous réservera-t-elle peut-être une surprise ?
Partis tôt, nous sommes arrivés plus tard que prévu. La piste était longue et un peu difficile pour une berline de location. Sac à dos, bâton, GPS, et nous voilà partis pour les Grandes Chutes. Mis à part les quelques mouches noires et le peu d'oiseaux rencontrés (une constante à Terre-Neuve), le paysage est beau et valait le déplacement.



Et si on descendait au pied de la chute, pour voir ?
Le bon endroit, le bon moment, c'est là que nous avons vu nos premiers saumons.
Leurs efforts pour retourner frayer sur leur lieu de naissance après 1 à 3 ans passés en mer a un petit côté émouvant. Heureusement, le saumon de l'Atlantique, contrairement à ses congénères du Pacifique, peut espérer survivre au voyage. Dix pour cent reviendront une deuxième année et certains feront jusqu'à 4 voyages.

Un 29 juillet à Stephenville (Terre-Neuve)

Stephenville, avec ses 6500 habitants, est la principale ville de la côte ouest de Terre-Neuve. A-t-elle du charme ? Je n'en sais rien et ce n'est pas le but de notre visite. Ce que nous cherchons, c'est Blanche Brook, la petite rivière qui la traverse et qui tient son nom de l'ancienne communauté acadienne depuis longtemps assimilée.
Pourquoi la rivière ? Parce que bien avant les anglais, avant les acadiens, les pêcheurs de morue français et même les béothuks, il y avait ici une forêt, une forêt peuplée d'essences d'arbres aujourd'hui éteintes, mais dont on peut voir les vestiges.



Nous mettons un peu de temps à trouver la Blanche Brook, un rien comparé aux 325 millions d'années qui nous séparent des arbres qui vivaient là. Après nous être stationnés à côté d'un pont, nous cherchons un accès pour descendre sur la berge sous le regard interrogateur de quelques personnes qui font la file pour remplir leurs bidons à une fontaine publique. 




Et puis, on commence à remonter la rivière en suivant la berge qui déborde largement sur le lit de la rivière en cette fin de juillet. Inutile de chercher bien longtemps, il faut juste que le regard s'habitue. On commence par voir les fragments d'écorces noircies, comme carbonisées par le processus de fossilisation, qui se détachent de la roche grisâtre.





Au fur et à mesure que l’œil se familiarise avec le paysage, les troncs et les branches plus pâles commencent à apparaître. Ils étaient là, bien sûr, mais nous regardions "trop petit". Il faut changer l'échelle de son regard pour contempler ces arbres qui pouvaient mesurer une cinquantaine de mètres de haut.
Déracinés par un cours d'eau des millions d'années plus tôt et ensevelis dans la boue, ils n'ont pas bougés depuis. Certains, presque intacts, s'enfoncent plus profondément dans la matrice. Alors on s’assoit sur un rocher pour contempler, on se prend à imaginer le paysage de l'époque et on s'invente des histoires.