Longueuil et l'environnement

J'habite à Longueuil, au bord du Saint-Laurent, en face de Montréal. À Longueuil, on a une vision de l'environnement qui date encore du XIXᵉ siècle. On détruit les espèces menacées à grands coups de bulldozers pour y faire passer des automobiles; on nettoie encore les rues en les aspergeant d'eau sous pression trois ou quatre fois par an; on veut encore développer un aéroport à proximité de deux voisins  internationaux, Pierre-Elliot-Trudeau pour les passagers et Dorval pour le fret, tout en les entourant de quartiers résidentiels et on ne considère les arbres que comme des "deux par quatre". À Longueuil comme ailleurs au Québec, on voit toujours plus grand, mais pas encore assez loin.

1. Sécurité publique: on coupe les gros arbres au bord du chemin sous prétexte qu'ils sont vieux ou malades, et représentent un danger pour les promeneurs.
2. Compensation carbone: on plante de nouveaux arbres bien au bord du chemin sans tenir compte de leur développement futur.
 
3. Gestion environnementale: les jeunes arbres ayant grandi, il faut maintenant couper toutes les branches qui empiètent sur le chemin.

4. Développement durable: en plantant un arbre imposant (hauteur moyenne du chêne rouge: 20 à 30 mètres) aussi près du chemin, on s'assure des emplois de bûcherons dans quelques années, mais l'arbre n'atteindra jamais ses 300 ans.

Des lacs si grands...

... que l'on croirait des mers. Des plages de sable blanc, des dunes, des falaises, des "lagunes", le bruit des vagues, les cris des oiseaux de mer et aucun repère lorsque le regard se porte vers le large, il ne manque aux cinq Grands Lacs que le sel et les marées, mais c'est sans importance. Ni le temps, ni le lieu n'y font rien; quel que soit l'endroit d'où je les regarde, ils me font toujours la même impression. 

Le lac Ontario depuis Prince Edward Point à l'extrémité orientale de la presqu'île que forme le comté du Prince-Edward (Ontario). La côte que l'on devine à l'horizon appartient à la presqu'île.

Il y a 11 500 ans, les cinq Grands Lacs n'en formaient qu'un, le lac Agassiz qui s'étendait du Manitoba à l'Ontario. L'inlandsis qui couvrait le nord de l'Amérique avait commencé à se retirer et l'eau de fonte s'accumulait dans une dépression que le glacier avait lui-même creusé. À l'époque, ce lac proglaciaire se vidait par l'ouest dans le bassin du Mississippi. Avec le recul de la calotte glaciaire vers le nord et le relèvement de la croûte terrestre libérée du poids de la glace, les lacs se vident aujourd'hui à l'est et vers le nord-est, par le fleuve Saint-Laurent.      

Parc provincial de Sandbanks: un cordon de dunes hautes d'une vingtaine de mètres. Avec une longueur d'une douzaine de kilomètres, c'est la plus grande formation de dunes en eau douce du monde. On aperçoit à gauche le lac Ontario et, à droite, le lac West qu'on ne peut pas appeler une lagune puisqu'aucune étendue d'eau n'est salée. Tout ce sable vient de l'érosion glaciaire; le vent n'a fait que le rassembler. Il était plus à gauche avant que l'humain, qui se croyait malin, ne défriche pour planter ses légumes. Mais quand ses champs et ses villages ont été engloutis par le sable, il a décidé de reboiser les dunes.
Si vous aimez la plage et la foule, réservez en ligne avant de sortir votre maillot de bain; si vous préférez la nature, venez hors saison quand le parc est fermé, mais pas interdit, sans oublier votre manteau. 

Sans gants, ni dentelle

De retour d'Ontario où nous étions allés à la rencontre des oiseaux migrateurs, j'ai pu constater que cette province souffre du même mal que le Québec. C'est une maladie ancienne, aussi ancienne que l'homme, mais ses manifestations se renouvellent sans cesse. Il existe un traitement, mais puisqu'il serait couteux de le mettre en oeuvre et que certains individus y seraient de toute façon réfractaires, nos gouvernements ont toujours préféré gérer la pandémie à coups de remèdes aussi symptomatiques qu'inutiles.

Je disais donc, qu'en Ontario, j'ai été confronté à l'une des manifestations les plus récentes de cette maladie qui a de nombreux noms et que je choisirai d'appeler la paresse intellectuelle.  Depuis maintenant environ deux ans, il est devenu impossible de faire 100 mètres dans un milieu naturel sans rencontrer un sac à merde posé sur une roche ou accroché à une branche. Je comprends que si on accepte de se faire lécher le visage par une créature qui utilise la même organe pour se nettoyer l'orifice anal, le spectacle de ces sacs aux couleurs criardes et à la composition indégradable peut sembler anodin. 

Néanmoins, je tiens à signaler aux propriétaires de chien que si votre dystrophie musculaire vous handicape au point de ne pouvoir rapporter le sac jusqu'à la poubelle la plus proche, soit-elle votre automobile, il est moins dommageable pour l'environnement de laisser l'excrément sur place à condition qu'il ne soit pas au milieu du chemin. Ou en des termes plus compréhensibles pour ceux qui sont atteints de la maladie (niveau de littératie 1 à 2): "Si t'es trop feignant pour rapporter ton sac à merde, fais chier ton chien au bord du chemin et laisse son caca sur place. Et si tu ne sais pas pourquoi, dis-toi que c'est encore moins forçant." 

Sur ce, je reprends le cours normal de ce blog.

Larmes de sucre

C'est le printemps dans le sud du Québec. Les grenouilles des bois chantent le retour des beaux jours et le bouleau verruqueux du jardin pleure ses branches cassées par la dernière tempête de neige. Je pourrais récupérer cette eau de bouleau pour la transformer en sirop, mais combien de jours cela me prendrait-il ? 

Pour obtenir le résultat de ce petit boulot arithmétique, on assumera que: 

  1. le débit est d'une goutte toutes les 2 secondes, 
  2. le débit est constant sur 24 heures, 
  3. le volume d'une goutte est égal à 0,05 ml,
  4. il faut 100 litres d'eau de bouleau pour produire 1 litre de sirop.

Le colibri: un oiseau américain [2/2]

L'Ariane à ventre gris (Amazilia tzacatl) appartient au groupe des Émeraudes et peut être observée du sud du Mexique jusqu'à l'Équateur en passant par la Colombie.

L'histoire des colibris commence il y a 42 plus ou moins 5 millions d'années. À cette époque appelée l'éocène, l'océan Atlantique est formé et les continents occupent à peu près la position qu'on leur connait aujourd'hui à quelques détails près: la Béringie (l'actuel détroit de Béring) est émergée, ce qui rend possible le passage entre la Sibérie et l'Alaska, et l'Amérique centrale n'existe pas encore, ce qui fait de l'Amérique du Sud, une île. En ce qui concerne la vie, les petits dinosaures que sont les oiseaux sont apparus depuis une centaine de millions d'années déjà (-142 millions d'années avant notre ère) et ont survécu au cataclysme qui a fait disparaitre les grands dinosaures depuis environ 23 millions d'années (-65 millions d'années avant notre ère).

L'ADN des oiseaux modernes nous apprend qu'il y a donc 42 millions d'années, une famille d'oiseaux s'est séparée et a donné naissance à deux nouvelles lignées: celle des martinets (famille des apodidés) et celle des colibris (famille des trochilidés). Aujourd'hui encore, après tout ce temps et en regardant bien, on peut trouver quelques ressemblances entre les deux familles; la plus évidente étannt que les martinets et les colibris sont courts sur pattes. Cet air de famille leur a d'ailleurs valu d'être regroupés dans l'ordre des apodiformes, un terme qui signifie: en forme de sans (a) pieds/pattes (podos).

L'ADN est un enchainement, ou une séquence, des paires de bases A-T, T-A, C-G et G-C dont la répétition et l'ordre définissent un organisme vivant. Le lien de parenté entre les espèces est établi en comparant la séquence de leur ADN. Plus les séquences sont similaires, plus les liens de parenté sont étroits. Quant à l'époque de la divergence entre deux familles, deux genres ou deux espèces, elle est estimée en comparant le nombre de mutations dans quelques gènes. Ensuite, en estimant la vitesse de mutation de l'ADN, on peut savoir à quel moment les gènes des colibris étaient suffisamment semblables à ceux des martinets pour ne former qu'une seule famille.
Taxonomie des colibris: chaque couleur correspond à un des neuf clades mentionnés généralement dans la littérature scientifique anglophone: les Topazes (Topazes), les Ermites (Hermits), les Mangos (Mangoes), les Brillants (Brilliants), les Coquettes (Coquettes), le Colibri géant (Giant Hummingbird), Les Joyaux de montagne (Mountains Gems), les Abeilles (Bees) et les Émeraudes (Emeralds). Un clade est un groupe philogénétique incluant un ancêtre et tous ses descendants. Cliquer sur le tableau pour le rendre plus lisible. 

Tout semble indiquer que la naissance des deux lignées s'est produite sur le continent eurasiatique. C'est en effet là, plus précisément en France, en Allemagne et en Pologne, qu'ont été exhumés les seuls fossiles apparentés à des colibris. Ils correspondraient à deux espèces distinctes et partagent avec les colibris modernes certains détails anatomiques, notamment un humérus court et trapu (un os des bras ou des ailes selon l'animal) grâce auquel les colibris actuels peuvent accomplir leurs prouesses aériennes. En outre, la datation de ces fossiles indique qu'ils sont âgés de 28 à 34 millions d'années, ce qui est compatible avec les données génétiques situant l'émergence des colibris et des martinets entre 37 et 47 millions d'années, c'est-à-dire "juste" un peu avant.

Avec ses quinze centimètres de longueur, le Campyloptère violet (Campylopterus hemileucurus) est le plus grand colibri d'Amérique centrale.  Celui-ci a été photographié au Costa Rica, dans un bouquet d'héliconias qu'il semblait s'être approprié et dont il butinait les fleurs selon un ordre bien établi.

Ensuite, plus rien. Aucun autre fossile ancien n'ayant été découvert ailleurs dans le monde, on perd la trace physique des colibris. Tout ce que l'on sait est qu'ils ont disparu du continent eurasiatique, qu'ils n'occupent aujourd'hui que le continent américain (voir le premier épisode) et que toutes les espèces actuelles descendent d'un ancêtre commun qui vivait dans les basses terres de l'Amérique du Sud, probablement le bassin amazonien, il y a 22,5 millions d'années. Cette dernière information est donnée par l'ADN des colibris modernes.

On ne sait pas avec certitude comment les colibris sont arrivés en Amérique du Sud. L'hypothèse la plus probable jusqu'à présent est qu'ils sont passés de l'Eurasie à l'Amérique du Nord en empruntant la voie de la Béringie, au nord-ouest, comme l'ont fait quelques plantes et d'autres animaux avant eux, ainsi que l'humain plus tard. Ont-ils ensuite colonisé l'Amérique du Nord avant de passer en Amérique du Sud. C'est une possibilité, mais si c'est le cas, ils en ont complétement disparu, car les colibris que l'on trouve aujourd'hui en Amérique du Nord descendent du même ancêtre sud-américain que tous les autres. 

Cet ancêtre qui vivait en Amazonie, il y a 22,5 millions d'années (début du miocène), nous apprend que des colibris ont réussi la traversée entre les deux Amériques bien avant la formation du pont terrestre que constitue l'Amérique centrale. La fermeture complète du passage entre les océans Pacifique et Atlantique s'est produite à la suite de l'exondation de l'isthme panaméen, entre -12 et -3 millions d'années avant notre ère.  La date est imprécise et suscite encore la controverse parmi les géologues. Quoi qu'il en soit, la formation de l'isthme panaméen n'est que la conclusion d'un long processus commencé dès la fin de l'oligocène (entre -28 et -23 millions d'années) avec la formation d'un arc d'îles volcaniques entre les deux Amériques qui a certainement facilité le passage des ancêtres des colibris vers l'Amérique du Sud.

Une fois établis dans les basses terres de l'Amazonie au début du miocène (voir la figure 1 de la magnifique étude de Jimmy A. McGuire et coll.), les colibris ont commencé à coloniser leur nouvel environnement. Pendant les 10 premiers millions d'années (de -22 à 12 millions d'années), ils se sont dispersés sur le territoire, occupant l'espace disponible et s'adaptant aux différentes niches écologiques qu'ils rencontraient. Cette cladogénèse (apparition de nouvelles espèces) a donné naissance aux ancêtres des groupes actuels: les Ermites d'abord, les Topazes, les Mangos, les Coquettes, les Brillants, le Colibri géant, unique représentant de son clade, et les Émeraudes. Aujourd'hui encore, les six premiers groupes, qui sont aussi les plus anciens, sont composés d'espèces principalement cantonnées en Amérique du Sud. On trouve quelques exceptions chez les Ermites et les Mangos, qui se sont introduits tardivement au Panama et dans les Caraïbes, probablement à l'occasion de l'achèvement de l'isthme panaméen, il y a 5 millions d'années.

Le Colibri à gorge pourprée (Lampornis calolaemus) est un membre des Joyaux de montagne qui habite les forêts humides des montagnes du Nicaragua, du Costa Rica et du Panama. 

Avec le temps, l'espace à occuper s'est restreint et la compétition pour les ressources alimentaires de plus en plus grande. Les colibris ont donc exploré de nouveaux territoires; certains ont retraversé vers l'Amérique du Nord et ont tenté de s'y installer, profitant du rétrécissement du détroit entre les deux continents. Plusieurs ont échoué; quelques-uns ont réussi à s'établir. L'un de ceux-là a donné naissance, il y a 12 millions d'années, aux deux groupes qui allaient coloniser l'Amérique du Nord: les Abeilles et les Joyaux de Montagne. Plus tard, à partir de -5 millions d'années, ces descendants seront rejoints par plusieurs vagues de représentants des Émeraudes, des Mangos et des Ermites, et par une unique vague de Brillants et de Topazes. Ces vagues d'immigration datées par l'ADN sont d'ailleurs un argument génétique en faveur de la fermeture complète de l'isthme qui aurait alors facilité la migration des colibris, il y a -5 millions d'années. 

Le Colibri cyanote (Colibri cyanotus) fait partie du groupe des Mangos. C'est un habitant des montagnes que l'on peut observer de la Bolivie jusqu'au Costa Rica.

Pendant ce temps-là (de -10 à -2 millions d'années avant notre ère), en Amérique du Sud, la cordillère des Andes connait une poussée "fulgurante", s'élevant d'environ 2 km en 8 millions d'années. Ce soulèvement a pour effet de créer de nouveaux habitats et d'accélérer la diversification de deux groupes déjà bien établis dans les montagnes: les Coquettes et les Brillants. Aujourd'hui, ces deux groupes qui rassemblent 30 % des espèces de colibris sont presque exclusivement constitués d'espèces andines; certaines étant particulièrement bien adaptées au manque d'oxygène et à la faible densité de l'air des environnements de haute altitude. Il est à noter que les Andes, qui ne représentent que 7 % de la surface des Amériques, abritent au moins 140 espèces de colibris, soit approximativement 40 % de la famille des trochilidés. Il est à noter que cette diversité andine n'est pas limitée aux colibris. On trouve de nombreuses autres espèces animales et végétales endémiques qui font des Andes, surtout la partie tropicale, un des hauts lieux de la biodiversité mondiale.

Les colibris, quant à eux, continuent leur évolution. Leur taux de diversification moyen estimé à 0,23 espèce par million d'années montre un léger ralentissement chez d'anciens groupes, mais il est encore très important chez les groupes les plus récents, notamment chez les Abeilles qui affichent un taux de 0,57 espèce/million d'années. Toutefois, il ne faut pas négliger l'influence du facteur humain qui, une fois de  plus, ne joue pas en faveur de l'évolution des colibris, en particulier dans les zones d'endémicité particulièrement restreintes que nos activités risquent de faire disparaitre.  

Ce colibri à gorge rubis (Archilochus colubris) est un digne représentant du clade des Abeilles (Bees) qui a conquis l'Amérique du Nord. Son espèce occupe le plus grand territoire et compte le plus grand nombre d'individus sur le continent nord-américain. 

Sources: