Juste avant le réveillon, nous sommes allés nous promener dans le parc du Mont Saint-Bruno (Québec), histoire de souhaiter un joyeux Noël à la faune. Pas de neige, une température au ras du zéro, un ciel gris, on se serait cru en Touraine, l'hiver. C'était tranquille, peut-être un petit peu trop d'un point de vue de naturaliste.
Dans un coin du parc, une haie avait été abattue. Sous les décombres, une affichette justifiait le massacre: "Îlot pollinisateur". Enfin, l'endroit aura un but plus visible et noble qu'une haie désordonnée, pourtant aussi utile, mais beaucoup moins vendable, qu'un îlot pollinisateur. On y transplantera probablement des plantes à fleurs forcées en serres dont la durée de vie dépendra de la persévérance du jardinier.
Ceci n'est qu'une étape de plus dans la transformation de cet espace, naturel en grande partie et historique dans une mesure non moins négligeable, en un parc d'attraction.
Le pré couvert de thym en été se transforme en camp de vacances l'hiver. Je ne sais pas ce que l'on y fait. Peut-être y apprend-on aux enfants que la nature n'est pas qu'une photographie de cerf de Virginie, un chien tenu en laisse ou un chat dégriffé.
Dans le parc du Mont Saint-Bruno, si vous croisez l'hermine, suivez-la. Elle vous amènera jusqu'au vestige d'une carrière que la nature et le temps finiront peut-être par faire oublier. En attendant, cette plaie dans la montagne nous en apprend sur une partie de sa composition : ici, surtout de la roche cornéenne, c'est-à-dire une roche sédimentaire qui a été cuite par l'intrusion magmatique à l'origine du mont. Enfin, est-ce le pluton qui est à l'origine de la montagne ou l'érosion des couches supérieures par la calotte glaciaire qui a fini par le faire émerger des profondeurs ? Il n'y a jamais eu de réponse à la question de l'œuf ou de la poule.
Au bord de la plaie, la roche est encore à vif, mais la mousse finira par la recouvrir...
...comme elle recouvre cette strate d'asphalte laissée par l'homme.
Au Mont Saint-Bruno, le pétrole ne jaillit pas du sous-sol, il s'y infiltre depuis la surface quand le soleil réchauffe le bitume.
Des ruines de béton, probablement une rampe pour charger les camions.
Et là, cette trouée rectiligne dans la forêt: leur accès vers la carrière, au fond.
Le poids des engins a laissé des ornières que même les arbres n'arrivent pas à effacer
Cela fait plusieurs années que nous nourrissons les geais bleus de passage. Nous leur lançons quelques arachides en écale par la porte du patio, en arrière de la maison, quand ils en manifestent le désir. Ils se précipitent alors dessus et vont se percher dans les arbres alentours pour les décortiquer ou les enfouir méthodiquement dans le jardin. C'est d'ailleurs comme ça que j'ai appris que l'on pouvait faire pousser des arachides au Québec. Nous avons pris le parti de ne fournir qu'à la demande, car les prédateurs d'arachides sont nombreux et il y a des indésirables, le plus redoutable étant certainement l'écureuil gris.
Je ne me souviens plus quand et comment l'habitude s'est prise. Tout ce que je sais, c'est que la tradition s'est transmise d'une génération à l'autre, les parents montrant aux enfants l'endroit où il y a des humains qui donnent. Comme les geais bleus sont des oiseaux indépendants et fiers, ils viennent quand ils veulent, souvent par deux, rarement à cinq, restant parfois plusieurs jours, puis s'absentant plusieurs mois. Ce sont eux qui décident ; nous ne pouvons que regretter leur absence et nous réjouir de leur retour
Il n'y a qu'une condition à remplir pour obtenir ce qu'ils veulent : nous signaler leur présence. Rassurez-vous ; que ce soit par des cris ou des allées et venues devant les fenêtres, chacun a résolu le problème à sa manière. Cette année, notre dernier visiteur a innové en venant s'accrocher à la moustiquaire de la porte patio quand il remarque que nous sommes dans la salle-à-manger. Il ne bouge pas tant que nous ne lui lançons pas quelques cacahuètes. Si nous passons dans la cuisine à côté, il vient se poser sur le rebord de la fenêtre et si nous allons nous asseoir dans le salon du côté rue, il contourne la maison et vient se percher à hauteur du regard dans l'arbre devant les fenêtres ; pas moyen de lui échapper.
Pour la suite, c'est toujours le même scénario : nous lançons une poignée de cacahuètes sur la terrasse et les geais viennent les ramasser selon un rituel bien défini. S'ils sont plusieurs, ils se perchent dans l'arbre voisin et viennent tour à tour, jamais ensemble, dans un ordre qu'ils sont les seuls à connaître. Si c'est un individu qui fait partie d'une bande, probablement un groupe familial, il se sert et appelle les autres qui rappliquent aussitôt.
Qu'ils viennent seuls ou à plusieurs, le rituel est le même et ne laisse que peu de doute sur la perspicacité des geais bleus. À l'exception des plus petites qui sont inévitablement laissées pour la fin, chaque cacahuète est soulevée et reposée jusqu'à ce que l'oiseau soit convaincu qu'il choisit ce qui doit probablement être la plus lourde. Et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus. Parfois, lorsqu'il tombe sur deux cacahuètes de taille équivalente, le geai hésite ; il les soulève et les resoulève jusqu'à ce que son opinion soit faite.
Il serait évidemment possible de vérifier l'hypothèse du choix de la plus lourde en présentant deux gousses de même taille dont l'une aurait été préalablement vidée. Un jour, peut-être. En attendant, j'ai préféré tester sa témérité en déposant quelques pinottes à l'intérieur de la maison, pas très loin de la porte. À ma grande surprise, il n'a pas hésité une seconde, malgré le stress et le danger. Sa gourmandise l'emporterait-elle sur sa prudence ? Pantoute, car en essayant de le nourrir à la main en passant bras par la porte entre-ouverte pour qu'il ne voie pas le reste de l'animal, rien n'y a fait ; il a refusé tout contact physique. Voilà, c'est ainsi que pendant que d'autres cherchent des intelligences dans l'univers, nous, nous nous contentons de reconnaître celles qui se présentent à notre porte.
Bec court et fin, poitrine rayée, un peu de jaune au bout des ailes, c'est un tarin des pins
Le ramassage des feuilles mortes bat son plein. Pour les paresseux, c'est la dernière occasion de faire tourner le moteur de la tondeuse afin de les aspirer. Personnellement, intolérance aux bruits des moteurs et conscience écologique obligent, j'ai encore recours au râteau. Par la même occasion, plutôt que de les enfermer dans un sac en plastique pour que la ville m'en débarrasse, j'essaie de les disposer stratégiquement sur mon terrain : là un paillis pour enrichir le sol, une rangée au pied de la clôture pour cacher le jardin à la vue des lapins, un tas sous le balcon pour servir d'abri aux animaux en hiver, le reste dans le compost.
Je laisse aussi toutes les tiges porteuses de graines ou de fruits pour les oiseaux. Aujourd'hui, les graines d'échinacée pourpre laissées par les chardonnerets jaunes ont fait le bonheur d'un groupe de tarins des pins en migration. Je ne sais pas s'ils ont senti la neige que l'on nous annonce pour cette nuit, mais il y a du trafic aérien dans le jardin : merles et étourneaux dans la vigne vierge, juncos ardoisés dans les feuilles mortes, carouges à épaulettes dans les mangeoires fraichement installées en compagnie de chardonnerets, tarins, roselins familiers, geais bleus et cardinaux rouges. Même les moineaux domestiques qui se faisaient discrets depuis quelques jours sont de la partie.
Nous sommes le 16 octobre et l'automne ne semble pas vouloir s'installer sur le mont Saint-Bruno. Si on se fiait à l'ombre que projettent les feuilles encore vertes des chênes et des érables, on pourrait se croire en été. Heureusement, la floraison de l'Hamamélis de Virginie est là pour remettre les pendules à l'heure et, cette année, elle est spectaculaire.
Nous allions aju bois pour chercher une chouette rayée et un merlebleu de l'Est; nous y avons trouvé un roitelet à couronne dorée et quelques canards branchus qui naviguaient en pères peinards sur la petite mare avec des bernaches.
Au jardin, les actées à grappes (Actaea racemosa) sont les dernières à fleurir. Le bal est ouvert par une variété horticole dont j'ai oublié le nom, mais qui se caractérise par ses organes chlorophylliens (tiges, feuilles et sépales) teintés de rouge. La sauvage, entièrement verte et native d'à peine plus au sud (nord des États-Unis et Ontario), lui emboîte le pas et ne parvient à fleurir que depuis quelques années seulement. Il y a 5 ou 6 ans, peut-être, les boutons étaient fauchés par les premiers gels.
Ce signe supplémentaire du réchauffement climatique n'est pas pour déplaire aux butineurs, même si cette oasis de nectar les oblige à une certaine promiscuité.
La version sauvage de l'actée à grappes attend son tour
Le jardin Daniel A. Séguin (Saint-Hyacinthe, Québec) est un endroit où il fait bon se promener, même pendant la seconde moitié de l'été. J'ai beaucoup aimé sa démonstration de toit végétalisé et la perspective qu'il propose d'une humanité devenue fantôme.
Le boisé des douze, à Saint-Hyacinthe, a toujours autant à offrir aux visiteurs. Cette fois, il nous a permis d'observer des physostégies de Virginie que je n'y avais vu auparavant. Ces fleurs de la famille des lamiacées sont suffisamment rares au Québec pour être susceptibles d'être désignées menacées ou vulnérables. Ont-elles été introduites ou sont-elles spontanées ?
Il y avait aussi ces Argus bleus, des papillons européens qui ont été introduits accidentellement dans la région de Montréal au début des années 2000.
Et puis tous ces fruits qui donnent à l'été cette saveur sucrée ou acidulée selon ce à quoi l'on goûte.
Les premières observations de ce papillon européen ont été faites en 2005 autour de l'aéroport de Mirabel.
De vraies pommes "bio"
Les fruits du rosier: excellents à condition de ne pas croquer trop en profondeur à cause des nombreuses graines
La ronce odorante et sa framboise
Et le pimbina trop âpre avant les premières gelées
Ce matin au réveil, il y avait cette rainette crucifère dans la fenêtre de la cuisine et, dans l'évier, cette étrange créature que iNaturalist identifie comme une Scutigère véloce. Je l'ai découverte après que ma blonde eut crié "il y a une bête dans l'évier" et, effectivement, j'ai eu du mal à la capturer pour la relâcher dehors, tant elle est véloce. Selon wikipédia, c'est un animal lucifuge et hygrophile (ça sonne bien), ainsi qu'un redoutable prédateur qui n'hésite pas à s'attaquer aux araignées. Ayoye, on vit dangereusement.
Bon, c'est pas tout ça, mais j'ai de la céramique à poser.
Le matin, je conduis ma blonde à son arrêt de bus pour Montréal et, chaque fois, notre regard est accroché par une incongruité le long du trottoir, pour ne pas dire une aberration. C'est un lieu obscur et sans vie, où toute surface organique a été artificialisée, minéralisée et imperméabilisée, et où même les plantes contenues dans les deux pots sont en plastique.
Ce style d'aménagement paysager est très populaire et répandu en Allemagne. Il commence d'ailleurs à y être interdit dans certaines régions, car il contribue à créer des îlots de chaleur, sans parler du ruissellement des eaux de pluie qui vont engorger les égouts et de l'atteinte évidente à la biodiversité, aussi graminoïde soit-elle.
Heureusement, ces jardins de pierre restent une exception à Longueuil qui est plutôt une ville verte et arborée, comme beaucoup de villes au Québec.
Et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit d'un troglodyte de Caroline. Cette espèce peu commune au Québec qui correspond à la limite nord de sa distribution sur le continent semble vouloir s'installer et s'étendre dans le sud de la province depuis quelques années. Depuis ce matin, il vient se promener sur la terrasse et nous fait tout un concert.
Avec le couple de gobemoucherons gris-bleu qui a niché l'année dernière, mais que l'on n'a pas revu depuis l'abattage des frênes morts et le concert des tronçonneuses, et avec les mésanges bicolores présentes depuis 3 ans, le boisé du Tremblay prend des allures de refuge pour les oiseaux rares du Québec.
Ce paysage de houblon, de clématite et de cannas en fleurs ressemble à un paisible jardin du 450, mais il ne faut pas se fier aux apparences: c'est un milieu hostile...pour les rainettes qui passent par là.