Stoolée par ses stolons

En se promenant dans les bois nord-américains, entre mai et juin pour le Québec, on peut tomber sur le spectacle étrange et éphémère de ces groupes de filaments blanchâtres de plusieurs centimètres faisant des boucles à la surface du sol. 

Autant dire tout de suite que ce ne sont pas des racines et qu'il est inutile de tirer dessus pour éclaircir le mystère de leur origine ; la plupart sont solidement ancrés dans l'humus. Toutefois, en y regardant de plus près, il est possible de trouver une des extrémités renflées du filament avant qu'elle ne s'enfouisse.

Sur cette photo, on peut deviner les renflements ovoïdes à l'extrémité inférieure des deux filaments de gauche et celui à l'extrémité supérieure du filament central.

Pour identifier la plante responsable de ces structures, il faut chercher ses feuilles autour. S'il en reste, vous reconnaitrez facilement leurs marbrures brunâtres caractéristiques. Si vous passez trop tard, elles auront disparu, car la plante fleurit tôt et fane avant la fin du printemps. Dans ce cas, sachez que ces filaments sont la méthode non sexuée utilisée par l'érythrone d'Amérique pour se reproduire. Ces organes, considérés comme des stolons(*), sont émis en nombre variable par le bulbe d'une plante immature et infertile. Dépourvus de géotropisme et donc incapables de s'orienter selon la gravité, ils croissent dans toutes les directions. Certains atteignent la surface puis se réenfouissent. Lorsque la croissance des stolons s'achève, un bulbe se forme à leur extrémité. Remarquez, c'est peut-être le contraire qui se produit, le développement du bulbe stoppe la croissance du stolon. Toujours est-il que le printemps suivant, ces nouveaux bulbes produiront une feuille unique à quelques centimètres de la plante mère.

(*) Un "drageon" est une tige se développant à partir d'un bourgeon souterrain, ou turion, qui s'est formé sur une racine. Un stolon est une tige aérienne, rampante ou suspendue, se développant à partir du bourgeon située à la base d'une tige. Dans les deux cas, ces tiges vont s'enraciner et donner naissance à une nouvelle plante qui aura un bagage génétique identique à la plante mère; un clone en d'autres termes.

Cette multiplication végétative, par opposition à la reproduction sexuée utilisant les fleurs, explique pourquoi l'érythrone peut rapidement former de grandes colonies. En effet, chaque printemps, pendant les quatre à cinq ans nécessaires pour atteindre sa maturité sexuelle et commencer à faire ses fleurs, le jeune bulbe va émettre des stolons qui à leur tour produiront de nouveaux bulbes, et ainsi de suite. 

Cette façon de faire explique également pourquoi, dans une colonie d'érythrone, on peut trouver beaucoup plus de plantes immatures à une feuille et sans fleur que de plantes matures à fleurs et à deux feuilles.

Pour connaître les détails:

En suivant la Jacques-Cartier

Je reviens d'un petit séjour de glamping au parc national de la Jacques-Cartier, séjour au cours duquel le muskol, la calamine et l'after-bite ont coulé à flots. 

Curieusement, en dépit des mouches noires (ces moucherons de moins de 5 mm qui partent avec un morceau de vous en laissant une goutte de sang au sommet d'une cloque douloureuse), des frappes-à-bord (une espèce de taon à la morsure tout aussi douloureuse) et des maringouins, la faune a étonnamment brillé par son invisibilité et son silence. À part une ou deux pistes de cerfs de Virginie, nous n'avons relevé aucune trace de gros mammifères au cours de nos randonnées, que ce soit des empreintes ou des excréments. Aucune vie non plus autour du chalet, à l'exception d'un écureuil roux qui mit beaucoup de temps à se dégêner.

Néanmoins, en remontant la rive de la rivière Jacques Cartier, nous avons quand même pu suivre des yeux une grande harle accompagnée puis chevauchée par ses trois canetons. Ce n'est qu'après avoir perdu de vue l'équipage au détour d'un méandre que nous avons remarqué que les deux billots de bois qui flottait au milieu de la rivière étaient en réalité deux castors en train de faire la planche au soleil.

Sinon, l'autre fait marquant du séjour fut d'être attaqué sauvagement – si, si, sauvagement – par une gélinotte huppée surgissant de nulle part et nous volant violemment  – si, si, violemment – dans les plumes, puis nous tournant autour sournoisement – si, si, sournoisement – jusqu'à ce que nous nous soyons suffisamment éloignés de ce qui devait être son nid. Je n'ai évidemment aucune image de cet incident peu glorieux.

Un monstre dans la cabane

J'étais parti faire des photos d'un fraisier sauvage au fond du jardin quand, sur le chemin, j'ai jeté un oeil à la cabane d'oiseaux accroché au bouleau. Dolomedes tenebrosus était là, magnifique, prenant l'air sur le pas de sa porte.

Je ne sais pas si c'est son nom, ses poils, sa taille — c'est quand même la plus grosse araignée du Québec — ou son petit air renfrogné, mais je n'ai pas eu envie de la déranger. Elle est pourtant complétement inoffensive et n'inflige une morsure douloureuse que pour se défendre. 

Le mont chauve

À une heure et demie de Montréal vers l'est, il y a de belles promenades à faire dans le parc national du Mont-Orford. Ce parc protège quelques sommets des contreforts des Appalaches qui culminent à 850 mètres et des poussières grâce au mont Orford.

Cette fois-ci, nous avons choisi de suivre le sentier qui mène au sommet du mont Chauve en passant par la porte de derrière à travers l'érablière qui couvre ses flancs. "What a beautiful day !" comme disent les randonneurs Terre-Neuviens en guise de salut. Vraiment ! Et pour le clou de la ballade, j'hésite encore entre le pékan, la paruline à gorge noire et le ginseng à trois folioles.  

Au sommet, on a un beau de point de vue sur une partie du chapelet des collines montérégiennes, ces intrusions magmatiques provoquées par le sursaut d'activité périodique du point chaud sur lequel dérivait la plaque nord-américaine. De gauche à droite, les monts Brome, Shefford, Yamaska et Saint-Hilaire dans la brume. Aux jumelles, on pouvait même voir le Mont-Royal.
L'osmorhize de Clayton essaie de se faire passer pour une fougère, mais il suffit d'y regarder de près pour éventer son stratagème.
Papillon tigré du Canada
Cypripède acaule ou Sabot de la Vierge
Le ginseng à trois folioles, sans vertu connue et donc beaucoup moins menacé que son congénère à cinq.
Une paruline à gorge noire occupée à ramasser du matériel pour construire son nid.

Plutôt un caryer ovale

Il y a quelques jours, je m'interrogeais - ici - sur l'identité d'un gros bourgeon que je n'avais jamais remarqué auparavant, au bord d'un chemin du Boisé du Tremblay. Avec un peu de patience et de persévérance, je peux dire aujourd'hui que je me trompais et qu'il s'agit d'un caryer ovale (Carya ovata). Les feuilles qui me paraissaient palmées sont plutôt imparipennées, c'est-à-dire composées de folioles en nombre impair ; cinq en l'occurence.

Pêche à la grenouille

Un érable de Pennsylvanie en fleurs

Hier matin, nous avions prévu d'aller faire une promenade sur le mont Saint-Bruno, le plus tôt possible pour éviter deux irritants: la chaleur et la cohue. Réveillés par le soleil, nous nous sommes butés à la barrière du parc qui ne se lève qu'à huit heures...quand la nature cède la place aux joggeurs.

Nous avons donc cherché l'entrée des chevreuils et l'avons trouvé au fond d'un cul-de-sac entouré de blockhaus prétentieux autour desquels on avait remplacé le ginseng à cinq folioles et d'autres plantes devenues rares, par du gazon, des blocs de pierre importée et des annuelles. 

Heureusement, une prise de conscience un peu tardive avait permis de protéger les indigènes restantes en créant la réserve Tailhandier à laquelle on pouvait accéder, et plus loin au parc, par un petit chemin, un étroit espace de liberté entre deux grosses cabanes palissadées et une forêt d'interdictions de stationner.

Nous nous y sommes donc engagés et la promenade qui s'ensuivit nous a donné l'occasion d'entendre et d'observer plein de choses intéressantes, à défaut d'être extraordinaires.

Il y avait entre autres ces ratons laveurs occupés à chercher à tâtons des grenouilles et d'autres animaux aquatiques,


et plus loin au bord du chemin, ce petit prêcheur et sa grenouille de bénitier, une rainette que l'on a baptisée crucifère en raison de la croix qu'elle porte sur le dos.


Un court extrait de chaine alimentaire

Ce matin, au parc des étangs-Antoine-Charlebois (Sainte-Julie, Québec), il y avait ce grand pic qui n'a fait aucun cas de notre présence, tant il était occupé à gosser un tronc vermoulu. Il avait dû y trouver quelques fourmis charpentières qui, elles aussi, affectionnent le vieux bois.

Un maître tisserand

L'oriole du Nord (Icterus galbula) est un oiseau sonore, voyant et commun dans le sud du Québec qui a la particularité de tisser un nid suspendu. 

Au cours de la fin de semaine, j'ai eu l'occasion de le regarder faire et je ne sais pas comment il arrive à s'y retrouver dans tous ces bouts de ficelles. C'est comme essayer de se fabriquer un hamac avec la bouche.

Un marronnier ?

Il y a quelques jours, à l'occasion d'une ballade dans le boisé du Tremblay, mon attention a été attirée par un gros bourgeon sur le bord du chemin. Intrigant ! Je n'avais jamais rien vu de semblable auparavant et en dépit de ses quatre ou cinq centimètres de longueur, il m'avait complétement échappé jusqu'à ce jour. J'inspectai autour pour voir si l'arbre auquel il appartenait était seul, mais j'en vis trois autres un peu plus loin. Curieux, je me promis de revenir régulièrement pour surveiller l'ouverture du bourgeon dans l'espoir d'identifier l'essence.

Hier, il était ouvert, laissant apparaitre le nouveau rameau et quelques feuilles qui semblent composées et plutôt palmées. Est-ce que cela pourrait être un marronnier ? Il y en a trois au Canada. Deux ont été introduits : le marronnier d'Inde (Aesculus hippocastanum) et le marronnier rouge (Aesculus pavia). L'autre, le marronnier glabre (Aesculus glabra) est indigène, mais plutôt rare. Comme c'est un arbre qui aime les milieux humides, il serait dans son élément au boisé du Tremblay.

Je vais suivre la croissance des feuilles en espérant que les cantonniers qui entretiennent le chemin et qui ont entrepris de couper toutes les branches basses des arbres en bordure fassent comme moi, qu'ils passent sans le voir. En attendant, si les photos vous évoquent quelque chose, n'hésitez pas à me renseigner. 


Halte migratoire

Les migrations battent leur plein. Le moucherolle tchébec et le viréo à tête bleue sont arrivés hier au boisé du Tremblay et ce matin, aux étangs Antoine-Charlebois, nous avons croisé des parulines à croupion jaune, à collier et jaunes, un tyran tritri et un viréo mélodieux. Un pygargue à tête blanche nous est aussi passé au-dessus de la tête, littéralement. 

De retour à la maison, nous avons répandu à la volée quelques graines mélangées, comme nous le faisons toujours pendant la saison des migrations. Les bruants de passage se sont évidemment précipités dessus, ce qui a piqué la curiosité d'un cardinal à poitrine rose. On le voit régulièrement au jardin, mais cette année, c'est sa première apparition depuis qu'il est arrivé du sud, il y a deux ou trois jours.

Bien sûr, toute cette agitation a attisé la curiosité des voisins dont certains auraient aimé se joindre à la table, notamment la marmotte. Mais je ne me laisserai pas attendrir par son regard suppliant. Sous ses allures bon enfant, c'est un ogre et lui ouvrir la porte, c'est faire le deuil de son jardin. Surtout celle-là, nous nous connaissons bien.

Matin chantant

Une grive solitaire, mais pas pour longtemps. 

Les migrations vont bon train dans le boisé du Tremblay. On commence à voir des grives solitaires depuis trois jours et des trains entiers de bruants défilent sous nos yeux. Certains, comme ce bruant des marais, en descendent pour poser leurs bagages. Poitrine gonflée, calotte hérissée, il défie ses congénères au chant et s'ils font mieux que lui, il ira voir ailleurs sans discuter. Soudain, l'arrivée d'un groupe d'oiseaux noirs et bruyants lui font rabattre son caquet et sa casquette.

Longueuil et l'environnement

J'habite à Longueuil, au bord du Saint-Laurent, en face de Montréal. À Longueuil, on a une vision de l'environnement qui date encore du XIXᵉ siècle. On détruit les espèces menacées à grands coups de bulldozers pour y faire passer des automobiles; on nettoie encore les rues en les aspergeant d'eau sous pression trois ou quatre fois par an; on veut encore développer un aéroport à proximité de deux voisins  internationaux, Pierre-Elliot-Trudeau pour les passagers et Dorval pour le fret, tout en l'entourant de quartiers résidentiels et on ne considère les arbres que comme des "deux par quatre". À Longueuil comme ailleurs au Québec, on voit toujours plus grand, mais pas encore assez loin.

1. Sécurité publique: on coupe les gros arbres au bord du chemin sous prétexte qu'ils sont vieux ou malades, et représentent un danger pour les promeneurs.
2. Compensation carbone: on plante de nouveaux arbres bien au bord du chemin sans tenir compte de leur développement futur.
 
3. Gestion environnementale: les jeunes arbres ayant grandi, il faut maintenant couper toutes les branches qui empiètent sur le chemin.

4. Développement durable: en plantant un arbre imposant (hauteur moyenne du chêne rouge: 20 à 30 mètres) aussi près du chemin, on s'assure des emplois de bûcherons dans quelques années, mais l'arbre n'atteindra jamais ses 300 ans.

Des lacs si grands...

... que l'on croirait des mers. Des plages de sable blanc, des dunes, des falaises, des "lagunes", le bruit des vagues, les cris des oiseaux de mer et aucun repère lorsque le regard se porte vers le large, il ne manque aux cinq Grands Lacs que le sel et les marées, mais c'est sans importance. Ni le temps, ni le lieu n'y font rien; quel que soit l'endroit d'où je les regarde, ils me font toujours la même impression. 

Le lac Ontario depuis Prince Edward Point à l'extrémité orientale de la presqu'île que forme le comté du Prince-Edward (Ontario). La côte que l'on devine à l'horizon appartient à la presqu'île.

Il y a 11 500 ans, les cinq Grands Lacs n'en formaient qu'un, le lac Agassiz qui s'étendait du Manitoba à l'Ontario. L'inlandsis qui couvrait le nord de l'Amérique avait commencé à se retirer et l'eau de fonte s'accumulait dans une dépression que le glacier avait lui-même creusé. À l'époque, ce lac proglaciaire se vidait par l'ouest dans le bassin du Mississippi. Avec le recul de la calotte glaciaire vers le nord et le relèvement de la croûte terrestre libérée du poids de la glace, les lacs se vident aujourd'hui à l'est et vers le nord-est, par le fleuve Saint-Laurent.      

Parc provincial de Sandbanks: un cordon de dunes hautes d'une vingtaine de mètres. Avec une longueur d'une douzaine de kilomètres, c'est la plus grande formation de dunes en eau douce du monde. On aperçoit à gauche le lac Ontario et, à droite, le lac West qu'on ne peut pas appeler une lagune puisqu'aucune étendue d'eau n'est salée. Tout ce sable vient de l'érosion glaciaire; le vent n'a fait que le rassembler. Il était plus à gauche avant que l'humain, qui se croyait malin, ne défriche pour planter ses légumes. Mais quand ses champs et ses villages ont été engloutis par le sable, il a décidé de reboiser les dunes.
Si vous aimez la plage et la foule, réservez en ligne avant de sortir votre maillot de bain; si vous préférez la nature, venez hors saison quand le parc est fermé, mais pas interdit, sans oublier votre manteau. 

Sans gants, ni dentelle

De retour d'Ontario où nous étions allés à la rencontre des oiseaux migrateurs, j'ai pu constater que cette province souffre du même mal que le Québec. C'est une maladie ancienne, aussi ancienne que l'homme, mais ses manifestations se renouvellent sans cesse. Il existe un traitement, mais puisqu'il serait couteux de le mettre en oeuvre et que certains individus y seraient de toute façon réfractaires, nos gouvernements ont toujours préféré gérer la pandémie à coups de remèdes aussi symptomatiques qu'inutiles.

Je disais donc, qu'en Ontario, j'ai été confronté à l'une des manifestations les plus récentes de cette maladie qui a de nombreux noms et que je choisirai d'appeler la paresse intellectuelle.  Depuis maintenant environ deux ans, il est devenu impossible de faire 100 mètres dans un milieu naturel sans rencontrer un sac à merde posé sur une roche ou accroché à une branche. Je comprends que si on accepte de se faire lécher le visage par une créature qui utilise la même organe pour se nettoyer l'orifice anal, le spectacle de ces sacs aux couleurs criardes et à la composition indégradable peut sembler anodin. 

Néanmoins, je tiens à signaler aux propriétaires de chien que si votre dystrophie musculaire vous handicape au point de ne pouvoir rapporter le sac jusqu'à la poubelle la plus proche, soit-elle votre automobile, il est moins dommageable pour l'environnement de laisser l'excrément sur place à condition qu'il ne soit pas au milieu du chemin. Ou en des termes plus compréhensibles pour ceux qui sont atteints de la maladie (niveau de littératie 1 à 2): "Si t'es trop feignant pour rapporter ton sac à merde, fais chier ton chien au bord du chemin et laisse son caca sur place. Et si tu ne sais pas pourquoi, dis-toi que c'est encore moins forçant." 

Sur ce, je reprends le cours normal de ce blog.

Larmes de sucre

C'est le printemps dans le sud du Québec. Les grenouilles des bois chantent le retour des beaux jours et le bouleau verruqueux du jardin pleure ses branches cassées par la dernière tempête de neige. Je pourrais récupérer cette eau de bouleau pour la transformer en sirop, mais combien de jours cela me prendrait-il ? 

Pour obtenir le résultat de ce petit boulot arithmétique, on assumera que: 

  1. le débit est d'une goutte toutes les 2 secondes, 
  2. le débit est constant sur 24 heures, 
  3. le volume d'une goutte est égal à 0,05 ml,
  4. il faut 100 litres d'eau de bouleau pour produire 1 litre de sirop.

Le colibri: un oiseau américain [2/2]

L'Ariane à ventre gris (Amazilia tzacatl) appartient au groupe des Émeraudes et peut être observée du sud du Mexique jusqu'à l'Équateur en passant par la Colombie.

L'histoire des colibris commence il y a 42 plus ou moins 5 millions d'années. À cette époque appelée l'éocène, l'océan Atlantique est formé et les continents occupent à peu près la position qu'on leur connait aujourd'hui à quelques détails près: la Béringie (l'actuel détroit de Béring) est émergée, ce qui rend possible le passage entre la Sibérie et l'Alaska, et l'Amérique centrale n'existe pas encore, ce qui fait de l'Amérique du Sud, une île. En ce qui concerne la vie, les petits dinosaures que sont les oiseaux sont apparus depuis une centaine de millions d'années déjà (-142 millions d'années avant notre ère) et ont survécu au cataclysme qui a fait disparaitre les grands dinosaures depuis environ 23 millions d'années (-65 millions d'années avant notre ère).

L'ADN des oiseaux modernes nous apprend qu'il y a donc 42 millions d'années, une famille d'oiseaux s'est séparée et a donné naissance à deux nouvelles lignées: celle des martinets (famille des apodidés) et celle des colibris (famille des trochilidés). Aujourd'hui encore, après tout ce temps et en regardant bien, on peut trouver quelques ressemblances entre les deux familles; la plus évidente étannt que les martinets et les colibris sont courts sur pattes. Cet air de famille leur a d'ailleurs valu d'être regroupés dans l'ordre des apodiformes, un terme qui signifie: en forme de sans (a) pieds/pattes (podos).

L'ADN est un enchainement, ou une séquence, des paires de bases A-T, T-A, C-G et G-C dont la répétition et l'ordre définissent un organisme vivant. Le lien de parenté entre les espèces est établi en comparant la séquence de leur ADN. Plus les séquences sont similaires, plus les liens de parenté sont étroits. Quant à l'époque de la divergence entre deux familles, deux genres ou deux espèces, elle est estimée en comparant le nombre de mutations dans quelques gènes. Ensuite, en estimant la vitesse de mutation de l'ADN, on peut savoir à quel moment les gènes des colibris étaient suffisamment semblables à ceux des martinets pour ne former qu'une seule famille.
Taxonomie des colibris: chaque couleur correspond à un des neuf clades mentionnés généralement dans la littérature scientifique anglophone: les Topazes (Topazes), les Ermites (Hermits), les Mangos (Mangoes), les Brillants (Brilliants), les Coquettes (Coquettes), le Colibri géant (Giant Hummingbird), Les Joyaux de montagne (Mountains Gems), les Abeilles (Bees) et les Émeraudes (Emeralds). Un clade est un groupe philogénétique incluant un ancêtre et tous ses descendants. Cliquer sur le tableau pour le rendre plus lisible. 

Tout semble indiquer que la naissance des deux lignées s'est produite sur le continent eurasiatique. C'est en effet là, plus précisément en France, en Allemagne et en Pologne, qu'ont été exhumés les seuls fossiles apparentés à des colibris. Ils correspondraient à deux espèces distinctes et partagent avec les colibris modernes certains détails anatomiques, notamment un humérus court et trapu (un os des bras ou des ailes selon l'animal) grâce auquel les colibris actuels peuvent accomplir leurs prouesses aériennes. En outre, la datation de ces fossiles indique qu'ils sont âgés de 28 à 34 millions d'années, ce qui est compatible avec les données génétiques situant l'émergence des colibris et des martinets entre 37 et 47 millions d'années, c'est-à-dire "juste" un peu avant.

Avec ses quinze centimètres de longueur, le Campyloptère violet (Campylopterus hemileucurus) est le plus grand colibri d'Amérique centrale.  Celui-ci a été photographié au Costa Rica, dans un bouquet d'héliconias qu'il semblait s'être approprié et dont il butinait les fleurs selon un ordre bien établi.

Ensuite, plus rien. Aucun autre fossile ancien n'ayant été découvert ailleurs dans le monde, on perd la trace physique des colibris. Tout ce que l'on sait est qu'ils ont disparu du continent eurasiatique, qu'ils n'occupent aujourd'hui que le continent américain (voir le premier épisode) et que toutes les espèces actuelles descendent d'un ancêtre commun qui vivait dans les basses terres de l'Amérique du Sud, probablement le bassin amazonien, il y a 22,5 millions d'années. Cette dernière information est donnée par l'ADN des colibris modernes.

On ne sait pas avec certitude comment les colibris sont arrivés en Amérique du Sud. L'hypothèse la plus probable jusqu'à présent est qu'ils sont passés de l'Eurasie à l'Amérique du Nord en empruntant la voie de la Béringie, au nord-ouest, comme l'ont fait quelques plantes et d'autres animaux avant eux, ainsi que l'humain plus tard. Ont-ils ensuite colonisé l'Amérique du Nord avant de passer en Amérique du Sud. C'est une possibilité, mais si c'est le cas, ils en ont complétement disparu, car les colibris que l'on trouve aujourd'hui en Amérique du Nord descendent du même ancêtre sud-américain que tous les autres. 

Cet ancêtre qui vivait en Amazonie, il y a 22,5 millions d'années (début du miocène), nous apprend que des colibris ont réussi la traversée entre les deux Amériques bien avant la formation du pont terrestre que constitue l'Amérique centrale. La fermeture complète du passage entre les océans Pacifique et Atlantique s'est produite à la suite de l'exondation de l'isthme panaméen, entre -12 et -3 millions d'années avant notre ère.  La date est imprécise et suscite encore la controverse parmi les géologues. Quoi qu'il en soit, la formation de l'isthme panaméen n'est que la conclusion d'un long processus commencé dès la fin de l'oligocène (entre -28 et -23 millions d'années) avec la formation d'un arc d'îles volcaniques entre les deux Amériques qui a certainement facilité le passage des ancêtres des colibris vers l'Amérique du Sud.

Une fois établis dans les basses terres de l'Amazonie au début du miocène (voir la figure 1 de la magnifique étude de Jimmy A. McGuire et coll.), les colibris ont commencé à coloniser leur nouvel environnement. Pendant les 10 premiers millions d'années (de -22 à 12 millions d'années), ils se sont dispersés sur le territoire, occupant l'espace disponible et s'adaptant aux différentes niches écologiques qu'ils rencontraient. Cette cladogénèse (apparition de nouvelles espèces) a donné naissance aux ancêtres des groupes actuels: les Ermites d'abord, les Topazes, les Mangos, les Coquettes, les Brillants, le Colibri géant, unique représentant de son clade, et les Émeraudes. Aujourd'hui encore, les six premiers groupes, qui sont aussi les plus anciens, sont composés d'espèces principalement cantonnées en Amérique du Sud. On trouve quelques exceptions chez les Ermites et les Mangos, qui se sont introduits tardivement au Panama et dans les Caraïbes, probablement à l'occasion de l'achèvement de l'isthme panaméen, il y a 5 millions d'années.

Le Colibri à gorge pourprée (Lampornis calolaemus) est un membre des Joyaux de montagne qui habite les forêts humides des montagnes du Nicaragua, du Costa Rica et du Panama. 

Avec le temps, l'espace à occuper s'est restreint et la compétition pour les ressources alimentaires de plus en plus grande. Les colibris ont donc exploré de nouveaux territoires; certains ont retraversé vers l'Amérique du Nord et ont tenté de s'y installer, profitant du rétrécissement du détroit entre les deux continents. Plusieurs ont échoué; quelques-uns ont réussi à s'établir. L'un de ceux-là a donné naissance, il y a 12 millions d'années, aux deux groupes qui allaient coloniser l'Amérique du Nord: les Abeilles et les Joyaux de Montagne. Plus tard, à partir de -5 millions d'années, ces descendants seront rejoints par plusieurs vagues de représentants des Émeraudes, des Mangos et des Ermites, et par une unique vague de Brillants et de Topazes. Ces vagues d'immigration datées par l'ADN sont d'ailleurs un argument génétique en faveur de la fermeture complète de l'isthme qui aurait alors facilité la migration des colibris, il y a -5 millions d'années. 

Le Colibri cyanote (Colibri cyanotus) fait partie du groupe des Mangos. C'est un habitant des montagnes que l'on peut observer de la Bolivie jusqu'au Costa Rica.

Pendant ce temps-là (de -10 à -2 millions d'années avant notre ère), en Amérique du Sud, la cordillère des Andes connait une poussée "fulgurante", s'élevant d'environ 2 km en 8 millions d'années. Ce soulèvement a pour effet de créer de nouveaux habitats et d'accélérer la diversification de deux groupes déjà bien établis dans les montagnes: les Coquettes et les Brillants. Aujourd'hui, ces deux groupes qui rassemblent 30 % des espèces de colibris sont presque exclusivement constitués d'espèces andines; certaines étant particulièrement bien adaptées au manque d'oxygène et à la faible densité de l'air des environnements de haute altitude. Il est à noter que les Andes, qui ne représentent que 7 % de la surface des Amériques, abritent au moins 140 espèces de colibris, soit approximativement 40 % de la famille des trochilidés. Il est à noter que cette diversité andine n'est pas limitée aux colibris. On trouve de nombreuses autres espèces animales et végétales endémiques qui font des Andes, surtout la partie tropicale, un des hauts lieux de la biodiversité mondiale.

Les colibris, quant à eux, continuent leur évolution. Leur taux de diversification moyen estimé à 0,23 espèce par million d'années montre un léger ralentissement chez d'anciens groupes, mais il est encore très important chez les groupes les plus récents, notamment chez les Abeilles qui affichent un taux de 0,57 espèce/million d'années. Toutefois, il ne faut pas négliger l'influence du facteur humain qui, une fois de  plus, ne joue pas en faveur de l'évolution des colibris, en particulier dans les zones d'endémicité particulièrement restreintes que nos activités risquent de faire disparaitre.  

Ce colibri à gorge rubis (Archilochus colubris) est un digne représentant du clade des Abeilles (Bees) qui a conquis l'Amérique du Nord. Son espèce occupe le plus grand territoire et compte le plus grand nombre d'individus sur le continent nord-américain. 

Sources:

Troisième jour de marathon

Au refuge Marguerite d'Youville, les érables sont en fleurs, mais beaucoup de vieux arbres ont souffert du vent. Si seulement les bûcherons pouvaient éviter de les couper au pied... 

Aujourd'hui, sur l'Île Saint-Bernard, c'était frette malgré le soleil et tranquille; la faute au vent du nord qui nous amène le froid et cloue les oiseaux au sol. Il y avait quand même quelques mésanges bicolores - c'est la place pour les voir en dehors de notre jardin - et un couple de grands pics qui préparaient leur nid dans un vieux tronc. 

Demain, dernier jour de marathon avec la grande baie du parc d'Oka...si elle existe encore. 

En sortant et en passant inévitablement par la boutique, ma blonde m'a fait un beau cadeau.