L'Île aux Lièvres

tiré de Google Earth
L’île aux Lièvres - à peu près 15 de kilomètres de long sur 1,5 km de large - est une crête rocheuse des Appalaches qui émerge au beau milieu du Saint-Laurent, à une dizaine de kilomètres au large de Rivière-du-Loup. Elle appartient en partie à la société Duvetnor, une organisation à but non lucratif qui la protège, exploite le duvet des eiders qui y nichent et vend les droits d’accès à l’île.
Il y a environ 30000 ans (Wisconsinien), l'île, comme le reste du Québec, était recouverte par une calotte glaciaire dont l'épaisseur pouvait atteindre 3 km en certains endroits. 15000 ans plus tard, la fonte des glaciers noie les basses terres sous les mers de Champlain au sud de Québec et de Goldthwaith au nord. L'île est alors recouverte par 50 à 100 mètres d'eau. La remontée des terres libérées du poids des glaces et le drainage des eaux vers l'Atlantique finissent par la faire émerger, il y a 11000 ans.

Île aux Lièvres
Pointe est de l'île: entre Laurentia (Côte Nord) et Baltica (Bas-Saint-Laurent)
Île aux Lièvres
Rive sud
Île aux Lièvres
Rive nord
Île aux Lièvres
Le voyage est fini pour ce bloc erratique abandonné par les glaciers

Aujourd'hui, l'île aux lièvres est recouverte d'une forêt où dominent le sapin baumier, le bouleau blanc et l'incontournable peuplier faux-tremble. En sous-bois, l'arbuste principal est certainement l'if du Canada qui forme à certains endroits d'épais tapis, seulement interrompus par le sentier et ses bordures fleuries d'asters, tout au moins à la fin de l'été. Dans les parties plus éclairées, on trouve également des viornes et du cornouiller stolonifère, ainsi que des rosiers sauvages à la lisière entre forêt et rivage.

Île aux Lièvres: sapinière à bouleau blanc
Île aux Lièvres
Île aux Lièvres
Tsuga canadensis
Aster macrophyllus
Rosa rugosa

Sur les rives, il n'y a que des rochers et des embruns, deux obstacles à la colonisation par les plantes. Et pourtant, il y en a. Feuilles épaisses à la surface réduite et recouverte d'une épaisse cuticule de cire, ces halophytes font tout pour retenir l'eau qu'elles ont tant de mal à absorber. En s'aventurant sur les rochers, on trouve entre autres la salicorne d'Europe, le plantain maritime, la renoncule cymbalaire, le caquillier édentulé et la verge d'or toujours verte

Salicocornia europaea
Plantago maritima
Ranunculus cymbalaria
Cakile edentulaSolidago sempervirens

L'île est peu habitée. Bien qu'elle doive son nom aux lièvres d'Amérique que Jacques Cartier y a vu en abondance lors de son escale, ils se font très discrets; tellement que c'est à se demander s'ils n'ont pas de prédateurs. Selon les dires des naturalistes locaux, il n'y a pas de renards, ni de mammifères plus gros que les lièvres, uniquement des souris, des campagnols, des rats musqués et une cinquantaine d'espèces d'oiseaux, parmi lesquels des rapaces diurnes et nocturnes (ceci explique peut-être cela). Côté fleuve, on peut aussi observer des phoque communs et plus occasionnellement des phoques gris, en train de paresser sur les rochers.

Bonasa umbellus
Campagnol sp
Halichoerus grypus

Références
Traces du dernier épisode glaciaire à l'île aux Lièvres - Estuaire du Saint-Laurent. Jean-Claude Dionne. Le Naturaliste Canadien 125:2, 43-48. 2001
Planète Terre: Le quaternaire au Québec: une histoire de glaciations-déglaciations. Pierre-André Bourque, Département de Géologie et de Génie géologique de l'Université Laval.
L'Île aux Basques. La Société Provancher d'histoire naturelle du Canada. ISBN 2-921919-03-6

Baume du Canada

Abies balsamea

Très populaire en Europe, il fut un temps où on l'utilisait pour fixer les lames et lamelles de microscope et pour assembler les pièces d'optique. L'avantage de ce liquide visqueux et collant est d'avoir un indice de réfraction voisin du verre et de ne pas cristalliser avec le temps. Aujourd'hui, on le trouve encore à une vingtaine d'euros les 100 millilitres, mais il a été remplacé par des résines polyacryliques dérivées du pétrole.

Abies balsamea

Au Québec, on l'appelle gomme de sapin. Ça tombe bien, car c'est exactement ce que c'est, même si les chimistes préfèrent dire oléorésine. En plus, il y en a partout, car le sapin baumier (Abies balsamea), le sapin de nos noëls, est un arbre typique de la forêt du nord de l'Amérique. Il est assez facile à reconnaître: les cônes sont dressés (les immatures sont gris-mauve foncé), les aiguilles sont disposées de part et d'autre du rameau (sauf à son extrémité), la face inférieure des aiguilles est parcourue de lignes blanches longitudinales et la surface du tronc est tapissée de "verrues" plus ou moins grosses.

Abies balsamea

Si vous appuyez dessus légèrement avec un doigt, vous constaterez qu'elles sont plutôt molles. Si vous insistez, elles céderont en faisant gicler la gomme. Avec un peu de chance, vous ne serez pas dans la trajectoire. Autrement, vous aurez les doigts collants pendant des heures et vos vêtement ne pourront être détachés qu'avec un solvant "gras" comme de l'alcool, par exemple. Et quitte à prendre le risque, ça vaut le goût d'y gouter. C'est sans danger;  on en trouve même en pharmacie au rayon des produits naturels en pastille contre les infections des voies respiratoires ou en onguent contre les rhumatismes. Mais je vous préviens, le produit brut est plus que gouteux et vous garderez son amertume longtemps dans la bouche. Allez, un peu de courage !

Entre les branches

Setophaga virens

Il y a dans l'automne comme une invitation à la paix. La lumière est moins vive, le soleil juste assez chaud pour donner envie de s'y plonger. Il y a dans l'air un parfum de je-ne-sais-quoi, mais tellement agréable.
C'est le meilleur temps pour se promener et, même si tout est plus silencieux et beaucoup moins présent, on pourrait quand même rencontrer une paruline à gorge noire en transit ou un cerf de Virginie qui espère ne pas avoir été vu. Qui sait.

Odocoileus virginianus

Le secret de Fonrouge

Sur un plan de la ville de Longueuil, rien ne distingue le parc Fonrouge de ces espaces urbains artificiels, plantés d'espèces exotiques, de gazon, de carrés de sable et de mobiliers  récréatifs. Il faut aller chercher une vue satellite de l'endroit pour comprendre qu'il y a peut être quelque chose de plus à Fonrouge.

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La hauteur de vue - une perspective encore mal maitrisée par nos gouvernants - permet effectivement de constater que le parc Fonrouge s'inscrit dans un plus vaste ensemble naturel et boisé, qui porte aujourd'hui le nom de Boisé du Tremblay. Mais, pour vraiment comprendre l'importance de l'endroit, il faut redescendre au ras des pâquerettes et le parcourir à pied.
Comme toutes ces enclaves naturelles ignorées, ou même honnies, des partisans de l'asphalte et du gazon, il n'y a ni accès officiel, ni sentier. Une  bonne façon de l'aborder est par la rue Cuvillier (il y a un stationnement au 301, devant la maison de quartier). 


Après, il faut oser traverser la lisière et entrer dans cet autre monde pour ressentir la force du lieu. Si l'empreinte de l'homme avec son cortège de déchets est malheureusement visible dans les premiers mètres, on reste sur l'impression qu'ici, la nature n'a pas encore renoncée et que tout espoir est permis. D'ailleurs, après quelques mètres, c'est l'enchantement. 


On s'enfonce dans un sous-bois d'érables, de caryers et de charmes dont la taille témoigne de l'ancienneté du lieu. Quelques fossés de drainage, en grande partie comblés, et des talus de pierre rappellent que l'homme a déjà échoué dans sa tentative d'asservissement de Fonrouge. Ces vestiges sont les seuls rappels de la présence humaine, car, à ce point de la marche, rien de l'agitation et des bruits de la cité environnante ne perce. Il ne reste plus que le calme et le silence d'une forêt qui se prépare à l'hiver. Au printemps, il en va tout autrement, car le boisé Fonrouge est l'un des derniers refuges de la rainette faux-grillon et ceux qui ont osé s'y aventurer en cette saison racontent que leur chant est si puissant qu'il peut vous rendre sourd.      
La progression continue jusqu'à ce que s'amorce une légère déclivité. L'érablière à caryer laisse alors la place à une zone plus clairsemée peuplée de saules discolores. Quelques pas encore et Fonrouge livre enfin son secret. Au milieu de la forêt, soudain, le lac apparait, impressionnant par son incongruité et sa taille. Si vous l'abordez silencieusement, vous aurez peut-être la chance d'y surprendre des canards sauvages, des hérons ou quelques rapaces guettant leur proie du haut des arbres alentours.  

Lac du boisé Fonrouge

Malheureusement, le boisé Fonrouge et son lac sont menacés de disparition par le développement résidentiel. Le processus de colonisation est déjà en mouvement. Selon une mécanique bien rodée, on a isolé  le milieu par la construction d'un boulevard, canalisé et enfoui le ruisseau qui alimente le lac, installé de nouveaux résidents qui vont finir de le transformer en un terrain vague qu'il deviendra salutaire de bâtir. Plus tard, les pompes fonctionneront à plein régime pour évacuer l'eau des sous-sols, l'aqueduc explosera au printemps sous la pression des eaux de fonte qui gonflent le ruisseau, mais peu importe: les taxes rentreront, les primes d'assurance augmenteront et le commerce prospérera.
Heureusement, des gens qui ont à  cœur leur environnement et le bien-être collectif tentent de s'opposer aux promoteurs immobiliers et d'infléchir les décisions intéressées des élus. Je pense par exemple à Ciel et Terre (deux membres permanents et une poignée de bénévoles), un organisme qui se bat depuis des années pour la protection des milieux naturels de Longueuil. Ils accomplissent des miracles avec rien ou presque rien, dans l'indifférence quasi-générale; on leur doit entre autres un début de protection du Boisé du Tremblay.   Chapeau et merci à Tommy Montpetit et Aline Porciuncula de m'avoir fait découvrir le boisé Fonrouge !