320 millions d'années les séparent

Baie de Fundy vue du cap Enragé

Nouveau-Brunswick, an de grâce 2022, nous avons atteint le Cap Enragé et surplombons la Baie de Fundy qui s'ouvre devant nous vers le sud-ouest et le large. De l'autre côté, c'est la Nouvelle-Écosse.

Pour rejoindre le pied de la falaise, nous suivons la faille que d'autres ont empruntée avant nous, comme en témoigne l'inukshuk à notre droite. La marée est basse et nous en profitons pour examiner les éboulis à la recherche de traces d'une vie passée.

Il y a 320 millions d'années, à l'époque du carbonifère, nous aurions marché sur l'équateur, au cœur de la Pangée, dans l'un de ces vastes bassins marécageux enclavés entre les Appalaches et la chaine hercynienne, plus précisément les Mauritanides. Nous aurions progressé sous le couvert d'une forêt dans laquelle les conifères récemment apparus se disputaient la place avec des fougères géantes et des prêles gigantesques. Peut-être aurions-nous croisé l'un des premiers tétrapodes. 

De cet âge d'or du règne végétal, il ne reste aujourd'hui que du charbon et quelques fragments pétrifiés qui nous racontent leur histoire et alimentent notre imaginaire.

Ci-dessus, des fragments de calamites, un proche parent disparu des prêles que l'on peut voir ci-dessous et qui ont conservé cette tige segmentée si caractéristique. À cette époque, les plantes à fleurs n'existaient pas et la reproduction se faisait principalement par des spores. La graine avait été récemment inventée par les gymnospermes dont font partie les conifères, mais pas le fruit qui la recouvre et qui est une invention des plantes à fleurs. 
Chez les prêles, ce que l'on prend pour des feuilles sont en fait des rameaux. Les véritables feuilles sont ces petites écailles soudées entre elles qui forment un manchon à la base de chaque segment de la tige ou des rameaux. 

Lignes de fuite

Tant qu'il y aura des arbres, il y aura de l'or à en pleuvoir, le bruissement des feuilles sous nos pas et des ombres pour les guider. C'est quoi déjà la chanson qui parle de la beauté du monde ?

De quoi nous privons-nous ?

La campagne d'abattage suit son cours dans le boisé du Tremblay. On coupe ras tout ce qui est mort et, tant qu'à faire, tout ce qui penche même si c'est encore vivant. On le fait au nom de la sécurité, car tout le monde le sait, quoi de plus dangereux qu'un arbre mort ? 

Récemment, le chantier a atteint la grande passerelle de bois qui enjambe une des nombreuses zones marécageuses du boisé. C'est un bel endroit qui ne laisse personne insensible. On y a même aménagé une terrasse avec des bancs pour pouvoir faire une pause et s'imprégner de l'ambiance. Au printemps, on vient écouter en famille le concert des grenouilles et les connaisseurs de nature savent que c'est un lieu propice à l'observation de la faune quelle qu'elle soit. 

Et puis les bûcherons sont passés, façon Attila et ses Huns. Le résultat est à la hauteur de ce que l'on pouvait attendre. Je ne sais pas si nous y avons gagné en sécurité et en économie de réparation de la passerelle, mais je sais ce que j'ai perdu: les nichées de pics, les barboteurs de passage dont on croisait le regard à l'occasion d'une halte et la chouette rayée que je ne pourrai plus dorénavant admirer qu'avec une paire de jumelles, si elle trouve encore un intérêt au lieu.   

Ces deux espèces ont besoin d'une cavité dans un tronc pour nicher: le pic la creuse, le canard branchu doit en trouver une.
Pour barboter librement, il faut de l'eau sans entrave
Toutes les photos ont été prises au même endroit.