Bleu et brillant

Cela fait plusieurs années que nous nourrissons les geais bleus de passage. Nous leur lançons quelques arachides en écale par la porte du patio, en arrière de la maison, quand ils en manifestent le désir. Ils se précipitent alors dessus et vont se percher dans les arbres alentours pour les décortiquer ou les enfouir méthodiquement dans le jardin. C'est d'ailleurs comme ça que j'ai appris que l'on pouvait faire pousser des arachides au Québec. Nous avons pris le parti de ne fournir qu'à la demande, car les prédateurs d'arachides sont nombreux et il y a des indésirables, le plus redoutable étant certainement l'écureuil gris.

Je ne me souviens plus quand et comment l'habitude s'est prise. Tout ce que je sais, c'est que la tradition s'est transmise d'une génération à l'autre, les parents montrant aux enfants l'endroit où il y a des humains qui donnent. Comme les geais bleus sont des oiseaux indépendants et fiers, ils viennent quand ils veulent, souvent par deux, rarement à cinq, restant parfois plusieurs jours, puis s'absentant plusieurs mois. Ce sont eux qui décident ; nous ne pouvons que regretter leur absence et nous réjouir de leur retour

Il n'y a qu'une condition à remplir pour obtenir ce qu'ils veulent : nous signaler leur présence. Rassurez-vous ; que ce soit par des cris ou des allées et venues devant les fenêtres, chacun a résolu le problème à sa manière. Cette année, notre dernier visiteur a innové en venant s'accrocher à la moustiquaire de la porte patio quand il remarque que nous sommes dans la salle-à-manger. Il ne bouge pas tant que nous ne lui lançons pas quelques cacahuètes. Si nous passons dans la cuisine à côté, il vient se poser sur le rebord de la fenêtre et si nous allons nous asseoir dans le salon du côté rue, il contourne la maison et vient se percher à hauteur du regard dans l'arbre devant les fenêtres ; pas moyen de lui échapper. 

Pour la suite, c'est toujours le même scénario : nous lançons une poignée de cacahuètes sur la terrasse et les geais viennent les ramasser selon un rituel bien défini. S'ils sont plusieurs, ils se perchent dans l'arbre voisin et viennent tour à tour, jamais ensemble, dans un ordre qu'ils sont les seuls à connaître. Si c'est un individu qui fait partie d'une bande, probablement un groupe familial, il se sert et appelle les autres qui rappliquent aussitôt.

Qu'ils viennent seuls ou à plusieurs, le rituel est le même et ne laisse que peu de doute sur la perspicacité des geais bleus. À l'exception des plus petites qui sont inévitablement laissées pour la fin, chaque cacahuète est soulevée et reposée jusqu'à ce que l'oiseau soit convaincu qu'il choisit ce qui doit probablement être la plus lourde. Et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus. Parfois, lorsqu'il tombe sur deux cacahuètes de taille équivalente, le geai hésite ; il les soulève et les resoulève jusqu'à ce que son opinion soit faite. 

Il serait évidemment possible de vérifier l'hypothèse du choix de la plus lourde en présentant deux gousses de même taille dont l'une aurait été préalablement vidée. Un jour, peut-être. En attendant, j'ai préféré tester sa témérité en déposant quelques pinottes à l'intérieur de la maison, pas très loin de la porte. À ma grande surprise, il n'a pas hésité une seconde, malgré le stress et le danger. Sa gourmandise l'emporterait-elle sur sa prudence ? Pantoute, car en essayant de le nourrir à la main en passant bras par la porte entre-ouverte pour qu'il ne voie pas le reste de l'animal, rien n'y a fait ; il a refusé tout contact physique. Voilà, c'est ainsi que pendant que d'autres cherchent des intelligences dans l'univers, nous, nous nous contentons de reconnaître celles qui se présentent à notre porte.

Frénésie pré-nivale

Bec court et fin, poitrine rayée, un peu de jaune au bout des ailes, c'est un tarin des pins

Le ramassage des feuilles mortes bat son plein. Pour les paresseux, c'est la dernière occasion de faire tourner le moteur de la tondeuse afin de les aspirer. Personnellement, intolérance aux bruits des moteurs et conscience écologique obligent, j'ai encore recours au râteau. Par la même occasion, plutôt que de les enfermer dans un sac en plastique pour que la ville m'en débarrasse, j'essaie de les disposer stratégiquement sur mon terrain : là un paillis pour enrichir le sol, une rangée au pied de la clôture pour cacher le jardin à la vue des lapins, un tas sous le balcon pour servir d'abri aux animaux en hiver, le reste dans le compost.

Je laisse aussi toutes les tiges porteuses de graines ou de fruits pour les oiseaux. Aujourd'hui, les graines d'échinacée pourpre laissées par les chardonnerets jaunes ont fait le bonheur d'un groupe de tarins des pins en migration. Je ne sais pas s'ils ont senti la neige que l'on nous annonce pour cette nuit, mais il y a du trafic aérien dans le jardin : merles et étourneaux dans la vigne vierge, juncos ardoisés dans les feuilles mortes, carouges à épaulettes dans les mangeoires fraichement installées en compagnie de chardonnerets, tarins, roselins familiers, geais bleus et cardinaux rouges. Même les moineaux domestiques qui se faisaient discrets depuis quelques jours sont de la partie.

Un 16 octobre sur le mont Saint-Bruno

Nous sommes le 16 octobre et l'automne ne semble pas vouloir s'installer sur le mont Saint-Bruno. Si on se fiait à l'ombre que projettent les feuilles encore vertes des chênes et des érables, on pourrait se croire en été. Heureusement, la floraison de l'Hamamélis de Virginie est là pour remettre les pendules à l'heure et, cette année, elle est spectaculaire.

Nous allions aju bois pour chercher une chouette rayée et un merlebleu de l'Est; nous y avons trouvé un roitelet à couronne dorée et quelques canards branchus qui naviguaient en pères peinards sur la petite mare avec des bernaches.