Au clair de la lune, une tortue verte

Bahia de Salinas dans le nord-ouest du Costa Rica, la région la plus aride du pays. On y trouve encore des plages désertes, mais pour combien de temps ?

Il y a quelques semaines, j'étais au Costa Rica sur une plage du Pacifique éclairée par une lune presque pleine. J'observais dans le plus grand silence une tortue verte en train de creuser le sable pour y pondre ses œufs. 

Tout avait commencé la veille quand Mathilde, la propriétaire de la Casa Mariquita où nous étions hébergés pour quelques jours, nous avait proposé d'assister à une intervention de l'association locale Equipo Tora Carey dont elle fait partie et dont l'une des missions est la protection des tortues marines.

L'opération du jour consistait à récupérer de jeunes tortues vertes (Chelonia mydas) qui devaient émerger du sable au cours de la nuit, puis à les transporter sur une plage voisine pour qu'elles puissent regagner tranquillement l'océan. Le site de ponte avait été repéré quelques semaines auparavant sur la plage El Jobo par les patrouilleurs de l'association qui le surveillaient depuis afin de le protéger du pillage par des braconniers. 

Avec un poids moyen oscillant entre 80 et 130 kg, la tortue verte (Chelonia mydas) est la plus grande tortue de la famille des chéloniidés. Elle a une distribution mondiale, ce qui ne l'empêche pas d'être en danger d'extinction. Longtemps chassée pour la consommation de sa chair et de ses oeufs, ainsi que pour la fabrication d'objets à partir de ses écailles, elle est aujourd'hui protégée, mais encore sujette au braconnage. 

Arrivés sur la plage à 20 heures, il faisait déjà nuit depuis deux heures, comme chaque jour de l'année sous cette latitude. Marlon Vargas Mora, le coordonnateur des patrouilles, nous y attendait pour nous indiquer l'emplacement du nid, à la limite des premiers arbres, loin de l'eau, comme les tortues vertes ont l'habitude de le faire.

À la lumière rouge d'une lampe torche pour ne pas déranger les tortues, Mathilde s'est frotté les mains avec une poignée de sable pour les nettoyer et camoufler son odeur. Puis, elle a commencé à écarter délicatement le sable jusqu'à ce que, une trentaine de centimètres plus bas, les premières tortues apparaissent, battant des nageoires pour rejoindre instinctivement l'océan. 

On ne sait pas encore avec exactitude comment les jeunes tortues trouvent le chemin de l'océan quand elles sortent du sable, mais la clarté de l'horizon marin par rapport à l'écran que forment les dunes sur l'horizon opposé semble jouer un rôle important. 

L'importance de la lumière dans l'orientation des jeunes tortues est d'ailleurs la raison pour laquelle celles qui venaient de naître devaient être déménagées sur une autre plage. En effet, depuis peu, un de ces complexes hôteliers de luxe comme il en existe de plus en plus au Costa Rica avait été construit sur la plage d'El Jobo. Or, l'éclairage nocturne des appartements, des allées, des terrasses et des piscines aseptisées désorientent les tortues qui ne sont plus capables de retourner à l'océan.

Une tortue a rampé sur la plage, puis est retournée directement à l'eau, probablement dérangée par les activités de l'hôtel.
Cette nuit-là, Mathilde a donc soigneusement placé les jeunes tortues dans un bac en plastique dont le fond avait été recouvert de sable pour les transporter sur une plage voisine. Sur les treize œufs que contenait le nid, un n'avait pas été fécondé et était resté intact dans le nid. Les autres étaient arrivés à terme et douze tortues furent déménagées; une petite couvée puisque la moyenne est de l'ordre de la centaine.

En arrivant sur la plage choisie pour leur libération, plusieurs pistes larges d'une enjambée barraient la plage, de l'eau jusqu'à la végétation, indiquant que des tortues étaient venues très récemment et avaient peut-être pondu. "Peut-être", car si la sortie de l'eau est motivée par la ponte, cela ne signifie pas qu'elle se produit systématiquement. Il est même plus fréquent qu'en dépit de l'effort que leur demande la remontée de la plage, les tortues choisissent de retourner à l'eau parce que l'emplacement ne leur convient pas. Elles peuvent aussi creuser le sable et renoncer à la dernière minute parce qu'elles sont dérangées ou parce qu'une racine ou un autre obstacle entrave le creusage du puits final. Dans ce cas, elles retournent à l'eau et refont une tentative plus tard.

Avant d'arpenter la plage à la recherche de nids ou de tortues, priorité est donnée à la libération des nouvelles-nées, ce qui se fait le plus naturellement du monde en les déposant dans le haut de la plage et en les suivant de loin jusqu'à ce qu'elles aient rejoint l'eau. C'est l'affaire de 10 à 15 minutes, pas plus.

Une nuit comme les autres pour Marlon.
Ceci étant fait, nous allons ensuite patrouiller la plage où nous trouvons deux adultes: l'une en train de creuser son nid, l'autre retournant vers l'océan.

Lorsqu'une tortue est découverte, le protocole établi par les scientifiques de l'Equipo Tora Carey impose de relever quelques données biométriques, de vérifier si la tortue est baguée et de la baguer si elle ne l'est pas. Enfin, il faut vérifier si la tortue a pondu et, le cas échéant, déménager les œufs dans un ancien nid avant que les braconniers ne les récupèrent.

Mathilde se met à courir vers la tortue avant qu'elle disparaisse dans l'eau et l'atteint juste à temps pour constater qu'aucune de ses nageoires postérieures ne porte de bagues. Nous allons ensuite nous asseoir en silence non loin de celle qui creuse son nid en espérant pouvoir assister à la ponte. 

Elle a d'abord écarté le sable avec ses nageoires avant pour former une première dépression évasée puis s'est retournée pour creuser en son centre un "puits de ponte" avec ses nageoires postérieures. À la lumière de la lune, nous contemplons cette tortue qui perpétue un geste plusieurs fois millénaire en écoutant le soupir des vagues qui viennent s'échouer en nous lançant un dernier éclat d'argent. Sous la voute céleste, face à l'océan, plus rien d'autre ne compte et nous nous remplissons de l'instant; cet instant où l'ego s'efface pour nous laisser entrevoir notre place réelle dans l'ordre des choses.

Plus loin, sur la plage, vers la gauche, un point brillant vient d'apparaitre comme un énorme galet déposé par les vagues. C'est une autre tortue qui vient de sortir de l'eau. Il y en aura deux autres, plus tard dans la soirée.

Ce soir-là, aucune ne pondra. Même celle que nous surveillons, en dépit de toute l'énergie fournie, décidera au dernier moment et pour des raisons qu'elle seule connait, de retourner à l'océan.

Sources: 

Une histoire "bizard"

Aussi étrange que cela puisse paraître, cette petite île en bordure du lac des Deux Montagnes n'a pas toujours été Bizard ni même une île.

Il y a environ 480 millions d'années, à une époque qui s'appelait l'ordovicien, elle gisait au fond d'une mer chaude de l'équateur, en marge du continent Laurentia. À cette époque, les végétaux commençaient à se sentir à l'étroit dans le milieu aquatique qui foisonnait de vie et envisageaient plus que sérieusement la conquête du milieu terrestre.

De cette vie marine, on trouve encore des traces sur l'île Bizard, notamment au parc-nature du bois de l'île Bizard, un des derniers endroits, entre les golfs et les grosses cabanes, qui reste encore accessible au public.

Près du chalet d'accueil, sur la rive du lac, on peut voir quelques affleurements rocheux que les géologues disent appartenir à la formation de Laval qui fait partie d'un ensemble plus important appelé le groupe de Chazy. Eh bien, en baissant simplement les yeux et en pliant un peu les genoux pour l'observer de plus près, on peut y observer des fossiles des bryozoaires et des brachiopodes qui peuplaient l'endroit, il y a 480 millions d'années. On peut même s'asseoir dessus, tourner son regard vers le lac et méditer un instant sur l'importance relative de notre existence.

Premières neiges, premières traces

Ce matin, je regardais par la fenêtre de la salle de bain pour m'enquérir de la météo. Il avait neigé dans la nuit et un animal avait laissé une piste dans l'entrée et sur la route. De loin, la piste double et la grosseur des empreintes faisaient penser à une moufette rayée qui aurait fait un aller-retour; cela est déjà arrivé.

En allant examiner les traces de plus près, tout indiquait qu'il s'agissait plutôt d'un raton laveur: la longueur des doigts, la différence des empreintes postérieures et antérieures et l'alternance des pas. Pourtant, il y avait quelque chose qui ne collait pas: toutes les empreintes allaient dans la même direction et il y en avait trop pour un seul animal. 

C'est en suivant la piste sur la route et en la voyant se séparer (photo de droite) que j'ai compris qu'il y avait deux ratons. Il s'agissait probablement d'un jeune et de sa mère, car bien qu'ils naissent vers avril-mai et soient sevrés à quatre mois, les jeunes passent généralement le premier hiver avec leur mère.