Deux couleurs, quatre sexes

Le bruant à gorge blanche dans sa forme éclatante

Le bruant à gorge blanche (Zonotrichia albicollis) - vous savez, celui qui chante où es-tu Frédérique, Frédérique ? - est un oiseau commun, mais peu ordinaire. 

D'abord, l'espèce affiche deux types de plumage, et ce, indépendamment du sexe. C'est ce qu'on appelle des morphotypes et c'est une caractéristique qui existe chez d'autres espèces. On peut donc observer un morphotype "éclatant" caractérisé par des rayures blanches et noires très contrastées sur la tête et par une gorge blanche qui tranche sur la poitrine grise, ainsi qu'un morphotype "terne" aux rayures beiges et brun foncé et à la gorge moins contrastée. Ces deux formes vivent ensemble, dans le même habitat et dans des proportions à peu près équivalentes. 

La deuxième particularité est que la différence de plumage est associée à une différence de comportement. Les ternes sont plus enclins à la monogamie, plus attentifs à leur progéniture, moins agressifs et moins bons chanteurs que les "éclatants".

Le bruant à gorge blanche dans sa forme terne

Enfin la dernière particularité, et non la moindre puisque c'est la seule espèce chez laquelle on l'a observée jusqu'à présent, est que les individus d'une forme, quel que soit leur sexe, ne s'accouplent qu'avec les individus de l'autre forme. Autrement dit, madame et monsieur "éclatants" ne sont attirés que par les individus de sexe et de couleur opposés, et inversement. Il y a quand même quelques exceptions (1,5 % des couples sont de la même forme), mais qui s'expliquent généralement par l'absence de disponibilité de la forme opposée. 

Chez les bruants à gorge blanche, c'est un peu comme si la couleur définissait un autre sexe, portant à quatre le nombre de genres possibles: mâle/éclatant, mâle/terne, femelle/éclatante et femelle/terne; chaque individu ne pouvant s'accoupler qu'avec 1/4 des autres.

Chez les mammifères, le sexe est déterminé par la paire de chromosomes sexuels X et Y; la femelle étant XX et le mâle XY. Chez les oiseaux, ce sont les chromosomes W et Z qui déterminent le sexe; la femelle étant WZ et le mâle ZZ. 

Évidemment, la chose a intéressé les scientifiques, notamment la biologiste Elaina M. Tutle (†) et son mari Rusty A. Gonser. Soupçonnant une cause génétique, ils sont allés examiner le chromosome 2 des bruants connu pour héberger plusieurs gènes contrôlant le comportement des oiseaux et la couleur de leur plumage. Ils ont alors découvert que les bruants ternes avaient deux chromosomes 2 "normaux" (les chromosomes vont toujours par paires) tandis que les bruants éclatants avaient un chromosome 2 "normal" apparié à un chromosome 2 "muté". Cette mutation consiste en une inversion d'un long fragment de l'un des bras du chromosome (un chromosome ressemble un X avec quatre bras attachés en un point commun, le centromère). Comme les gènes (un millier environ) situés dans l'inversion s'expriment moins, il en résulte des différences de comportement et de couleur.

Le plus fascinant dans cette histoire est que le maintien du chromosome 2m dans la population est favorisé par le comportement d'accouplement croisé. Ainsi, lorsqu'un(e) terne (2/2) s'accouple avec un(e) éclatant(e) (2/2m), les lois de Mendel prédisent que leurs descendants seront: 2/2 (terne), 2/2m (éclatant), 2/2m (éclatant) ou 2/2 (terne), puisqu'un descendant reçoit un chromosome de chaque parent. En d'autres termes, à la naissance, les probabilités d'obtenir les deux morphotypes sont identiques: 50 % d'éclatants et 50 % de ternes.

En simplifiant à l'extrême, selon les lois de Mendel, un accouplement de ternes (2/2 X 2/2) donnerait 100 % de ternes.
Un accouplement d'éclatants (2/2m X 2/2m), pourrait donner 2/2, 2/2m, 2/2m, 2m/2m, mais les oisillons 2m/2m ne survivent quasiment pas à la nichée (0,15 % seulement des bruants sont 2m/2m, sans que l'on en connaisse vraiment les raisons). Les probabilités d'obtenir un terne sont donc d'environ 33 % et celle d'avoir un éclatant d'eviron 67 %.
Maintenant, si on suppose que tous les accouplements sont possibles (terne x terne, éclatant x éclatant et terne x éclatant) et ont la même chance de se produire (pas de préférences d'un type pour l'autre), la probabilité d'obtenir des ternes est de 64 % et celle d'obtenir des éclatants de 36 %, à la première génération.

Sources:
Tuttle, E et al. (2016). Divergence and functional degradation of a sex chromosome-like supergene. Current Biology, 26 (3), 344–350.
Arnold, C. (2016). The sparrow with four sexes. Nature, 539 (7630), 482–484.

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