La routine

La routine hivernale s'installe, même si nous n'y sommes pas encore. Cette année, les mangeoires attirent deux mésanges bicolores en plus de la faune habituelle; elles vont probablement passer l'hiver ici. Bien qu'on en compte un peu plus chaque année, cette mésange est encore considérée comme une rareté dans le sud du Québec et la plus proche pour nous jusqu'à cette année était celle du refuge faunique Marguerite d'Youville. Comme le et les temps changent, il nous suffit aujourd'hui de regarder par la fenêtre pour espérer la voir. Farouches, elles viennent du fond du bois, piquent une graine et s'en retournent. 

Autres visiteurs réguliers, deux éperviers, un adulte "de Cooper" (celui de la photo) et un juvénile "brun", qui viennent se poster à côté des mangeoires pour les mêmes raisons que les autres, mais pas avec le même régime. 

On peut quand même se réjouir de toute cette activité qui est un signe de la vitalité du boisé du Tremblay. Si seulement, on pouvait le laisser se gérer lui-même et limiter nos interventions au strict minimum (voir le billet précédent).

Ces arbres qui font peur

Maintenant que l'agrile du frêne est passé sur le boisé du Tremblay, il faut sécuriser les lieux. Cela revient à couper tous les arbres morts au pied, sur une bande d'une quinzaine de mètres de chaque côté d'un chemin déjà trop large. Et puisqu'on s'est donné une mission de gestion et de valorisation de ce milieu qui n'en demandait pas tant, on coupe par la même occasion toutes les autres essences qui penchent du mauvais côté ou qui ont pour seul défaut d'être trop gros et trop vieux. Bref, après avoir installé des bancs (mais pas de poubelles) et des bornes d'appels d'urgence (tout en autorisant la chasse) pour procurer aux passants un faux sentiment de sécurité, on continue à transformer le boisé en un jardin pour vieux enfants insécures.

Si je reviens sur le sujet pour la énième et dernière fois, c'est parce que je me suis toujours demandé quel risque réel faisait courir ces arbres morts aux promeneurs et que j'ai enfin pu trouver quelques éléments de réponse. En faisant une brève recherche dans Google Scholar avec les mots-clés: "falling tree", "fatalities" et "injuries", on trouve quelques études sur le sujet. Après avoir écarté celles qui portent sur les accidents de travail en foresterie et les accidents non-professionnels causés par l'entretien d'un arbre, il n'en reste que très peu; ce qui, en soi, peut constituer un indice sur le risque. Je me contenterai de citer quelques chiffres. 

En Australie, Andrew Brookes s'est intéressé aux accidents mortels causés par des arbres au cours d'activités scolaires extérieures. Entre 1960 et 2007, sur 128 décès enregistrés, 14 (au cours de 8 évènements différents) étaient attribuables à une chute d'arbre: 50 % étaient dus à des mauvaises conditions météorologiques et 50 % se sont produits alors que les victimes étaient dans leur tente. 

Aux États-Unis, Thomas W. Schmidlin s'est focalisé sur les chutes d'arbre causées par le vent et a recensé 407 morts entre 1995 et 2007, soit 1 mort par an et par tranche de 9 millions d'habitants. 44 % des victimes ont été tuées dans leur véhicule, 38 % à l'extérieur et 18 % dans leur foyer (maison, mobil-home ou autres). 

Au Royaume-Uni, au cours de la décennie 1998-2008, David J. Ball et John Watt ont dénombré 54 morts et 22 blessures graves causées par la chute d'un arbre ou d'une branche. 59 % des cas se sont produits sur une voie de circulation et impliquaient un véhicule; les autres ont eu lieu dans un jardin privé, une forêt, un parc ou une aire de jeu. Dans 64 % des accidents, les vents soufflaient à plus de 75 km/h. Avec une population moyenne de 60 millions d'habitants au cours de cette décennie, ces chiffres signifient que, chaque année, un(e) anglais(e) sur 8 millions environ court le risque d'être gravement blessé(e) ou tué(e) par un arbre.   

Dans cette dernière étude, les auteurs arrivent à la conclusion que "les décès et les blessures graves causés par les arbres sont rares au Royaume-Uni. En outre, il y a peu de chances que le nombre de cas puisse être réduit de manière significative sans des mesures strictes qui pourraient elles-mêmes causer d'autres formes de dommages à l'environnement ou à la main-d'œuvre. "

Allez savoir pourquoi ces bouleaux gris ont été coupés. 
Pas de jaloux, on coupe aussi les peupliers faux-trembles

Pour résumer, s'il fallait vraiment trouver des raisons de s'inquiéter, on pourrait prétendre que circuler dans une automobile sur une route bordée d'arbres ou dormir dans une tente plantée au pied d'un arbre mort par journée de grands vents présente un certain niveau de risque. Rien de comparable, toutefois, avec les dangers que nous courons quotidiennement. En fait, selon les gestionnaires de risque, l'abattage préventif des arbres serait plutôt motivé par la crainte, de la part des propriétaires de terrain boisé, de la poursuite judiciaire et de ses coûts en cas d'accident (voir les références ci-bas) que par un réel souci de sécurité.

Pour clore le sujet, je rappellerai qu'un arbre mort est utile. Et si on ne peut faire autrement que de le couper, peut-être pourrait-on envisager des méthodes plus respectueuses de l'environnement comme par exemple couper un peu moins court de façon à laisser les espèces animales qui nichent ou s'abritent dans les cavités des troncs continuer à le faire.

Sources: 

  1. Ball, D. J. & Watt, J. The risk to the public of tree fall. Journal of Risk Research 16, 261–269 (2013).
  2. Schmidlin, T. W. Human fatalities from wind-related tree failures in the United States, 1995–2007. Nat Hazards 50, 13–25 (2009).
  3. Brookes, A. Preventing death and serious injury from falling trees and branches. Journal of Outdoor and Environmental Education 11, 50–59 (2007).
  4. Bennett, L. Trees and public liability—Who really decides what is reasonnably safe? Arboricultural Journal 33, 141–164 (2010).

Si vous connaissez Sci-Hub (qui tentent de redonner l'accès gratuit aux résultats des recherches financées par l'argent public) et ses extensions pour navigateurs internet , vous n'aurez pas de mal à trouver l'article manquant.

Un 16 novembre à Longueuil

Il faudrait que je pense à sortir mes mitaines, ma tuque, mes bas longs et mes collants, à faire poser mes pneus d'hiver et à sortir mes pelles à neige.